Pôle Emploi souhaite généraliser le contrôle des chômeurs à partir d’août prochain. Le contrôle dont il s’agit est celui d’une expérience pilote déjà menée dans quatre régions (Poitou-Charentes, Haute-Normandie, PACA et Franche-Comté) avec des équipes dédiées :
Nous examinons d’abord si le chômeur a suivi tous les projets d’accompagnement, s’il a créé un espace personnel en ligne, s’est abonné aux offres. Il y a ensuite un entretien téléphonique. Si les éléments ne sont pas satisfaisants, nous lui envoyons un questionnaire en lui demandant des pièces justificatives, comme des mails de candidature ou une copie de son journal de bord de recherche d’emploi.
200 agents seraient donc déployés pour surveiller 3,5 millions de chômeurs à partir de cet été (et peut-être aussi ceux qui ont une activité limitée, soit 5 millions de personnes en tout) : cela ressemble beaucoup à une opération de communication similaire à l’opération mains propres menée actuellement à Saint-Ouen sur un autre plan, avec une augmentation de radiations arbitraires à la clé. Mais il serait illusoire de croire qu’il n’y a pas de contrôle ailleurs : ma référente Pôle emploi me demande déjà chaque mois pour nos entretiens face à face de lui envoyer les mises à jour de mon journal de bord, comprenant les coordonnées de mes candidatures spontanées ou suite à offre, ainsi que mes opérations de réseautage, et gare à moi si j’ai laissé passer une offre de PE. Je me fais régulièrement taper sur les doigts avec mon point faible : la relance des employeurs qui n’ont pas daigné me répondre. Je ne suis peut-être pas doué, mais il me paraîtrait difficile de la mener en bateau.
L’autre actualité de l’agence Pôle Emploi, c’est son lancement dans les Moocs. Quatre à ce jour :
- Construire son projet professionnel
- Organiser sa recherche d’emploi, trouver et sélectionner les offres
- Réussir son CV et sa lettre de candidature
- Réussir l’entretien d’embauche et relancer l’employeur
C’est un effort louable pour les nouveaux chercheurs d’emploi qui arrivent chaque mois, mais peu utile pour les 2,2 millions de chômeurs de longue durée, sans compter tous les gens qui font le yoyo entre contrats précaires et réinscription : ils ont déjà fait tous les ateliers et suivi différentes formules de suivi personnalisé : cap vers l’emploi, objectif emploi et autres avec des organismes qui travaillent en sous-traitance de Pôle Emploi… Et ils ont déjà tout entendu et son contraire dans ce domaine, par exemple ceci :
Ceci explique sans doute le succès mitigé de l’outil. Pas sûr que cela suffise à inverser la courbe du chômage.
Devant les chiffres qui ne font que se dégrader depuis 2008, M. Macron aligne les images d’Épinal véhiculées par le MEDEF sur le droit du travail en France :
Ce que dément catégoriquement Alternatives Economiques dans son numéro 345 d’avril 2015, chiffres à l’appui :
- Se séparer d’un salarié est très difficile : faux
– Le contrat à durée déterminée bat des records avec 85% des entrées en emploi : contrats de chantier, contrats saisonniers, CDD séniors, CDD de mission de 18 à 36 mois, etc.
– Le CDI n’échappe pas à la règle avec le succès remarquable des ruptures conventionnelles (1,7 millions de « divorces à l’amiable » depuis 2008). De plus, un tiers des CDI ont été rompus avant la fin de la première année depuis 2011 et le taux de rupture pendant la période d’essai a cru de 30% depuis 2007.
– Et que dire du détournement du dispositif des auto-entrepreneurs (911 000 fin 2013) par des employeurs indélicats? - Les Français ne travaillent pas assez : faux
Temps de travail hebdomadaire effectif : 41h et pas 35h, soit dans la moyenne européenne. Mais il faut aussi prendre en compte le temps partiel, qui modifie énormément les moyennes. - Les salaires français sont trop rigides : faux
La hausse des salaires en France ces dernières années est le fruit d’un effet d’optique. Ce sont les salariés à bas salaire qui ont été le plus touchés par la crise, ce qui fait automatiquement remonter le salaire moyen global. - Les chômeurs sont trop assistés ; faux
Un tiers des chômeurs de la catégorie A ne touche plus aucune indemnité, et la moitié ne perçoit pas plus de 500€ par mois.
Mais les employeurs ne lisent pas Alternatives Economiques et préfèrent s’en tenir à leurs idées reçues, ce qui fait qu’en effet, ils hésitent à recruter et quand ils osent se lancer, ont une peur de se tromper qui en devient irrationnelle :
« Dans les Highlands, portée par le chant des druides et les corbeaux lumineux, il y a une légende. Une légende qui révèle que derrière les longs rideaux de chiffres et de mots du recrutement, il y aurait l’algorithme parfait. Voici cette légende. »
Pour trouver le mouton à cinq pattes, les recruteurs sont prêts à gober toutes les sottises du premier charlatan venu :
« La graphologie n’est pas la seule méthode discutable de recrutement. D’autres techniques, largement remises en question, sont également utilisées par les recruteurs. En voici un petit palmarès…Attention, cela vaut le détour ! »
Et on voit revenir le mythe du vivier de 400 000 emplois boudés par les chercheurs d’emploi. Or il s’agit d’une confusion entre emplois vacants et offres non pourvues. Pole emploi estime à 34 000 par ans le nombre d’offres qui ne trouvent pas preneur faute de « bons » candidats :
Un recrutement sur trois, ou 1 sur 7 selon que les chiffres proviennent du Medef ou de Pole Emploi, doivent être abandonnés faute de candidat adéquat. Sont pointés des lacunes en compétences techniques et des problèmes de « savoir être » (20% du total). Le Medef pointe lui-même le contenu des formations.
Si c’est vraiment un problème de formation, comment se fait-il que même l’apprentissage et la formation professionnelle, où l’entrepreneur peut former un salarié à ses habitudes maison, soient en baisse depuis 2013?
Il n’y a pas de crise de vocation chez les jeunes, mais un manque flagrant de maîtres d’apprentissage. Avant de s’engager à prendre un apprenti, les entreprises attendent le plus souvent une embellie économique et des mesures incitatives du gouvernement. Aujourd’hui, seulement 18% des entreprises du bâtiment auraient recours à ce type de contrat. Mais ce pourcentage devrait progresser. Le gouvernement a annoncé que toute entreprise de moins de 11 salariés ne payerait ni salaire ni charges à compter du 1er juillet.
Après le le CICE et le pacte de responsabilité sans contrepartie, voici donc le ni salaire – ni charge avec en plus une prime de 1000€ par apprenti. Si la France protège trop ses salariés comme l’affirme M. Macron, que penser de ses entreprises?
Le méchant demandeur d’emploi qui préférerait rester chez lui plutôt que de postuler à ces postes pour moutons à cinq pattes n’existe pas. Ils postulent en effet, mais qu’il leur manque toujours quelque chose aux yeux des recruteurs : la cinquième patte! Or les employeurs peuvent se permettre de faire la fine bouche : ils ont l’embarras du choix dans le vivier de 5 millions d’inscrits. Je crains que ni le contrôle renforcé, ni les Moocs de Pôle emploi ne soient en mesure de changer cet état de fait.
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