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Education aux médias : et la télévision?

Le tout petit monde des journaux télévisés

On a beaucoup parlé d’éducation aux médias au moment des attentats de Charlie Hebdo, à cause des « Je ne suis pas Charlie« , des ados qui ont perturbé les minutes de silence dans les écoles et surtout de la découverte des embrigadements de gamins et gamines par les fanatiques de Daech. En un mot, l’éducation aux médias dont il s’agissait visait d’abord les jeunes face à Internet.

Pourquoi seulement Internet? Pourquoi seulement les jeunes?

Depuis 8 mois que j’écris sur le sujet, je pense avoir fait le tour de la question sur l’éducation aux médias concernant Internet :

  1. Complots, no go zones et paréidolies
  2. Madame, on n’a pas trouvé sur Internet
  3. Les médias traditionnels plus fiables qu’Internet?
  4. Où va la presse?
  5. Et si c’était la vérité ?
  6. La démocratie des crédules
  7. Faut-il toujours chercher la certitude ?
  8. Internet, la nouvelle République des Lettres?
  9. Démocratie de la connaissance contre démocratie des crédules (1)
  10. Démocratie de la connaissance contre démocratie des crédules (2)
  11. La démocratie de la connaissance, une utopie?
  12. etc.
La fabrication de l’Information, Miguel BENASAYAG, Florence AUBENAS, La Découverte 2007, 112 p.

En revanche, je ne comprends toujours pas pourquoi les gens, en particulier d’un certain âge, continuent à autant plébisciter la télévision, au lieu de varier leurs sources d’information et de recouper ce qu’ils apprennent ; bref, pourquoi ils n’appliquent pas à la télévision ce qui est préconisé pour Internet :

La critique des médias est à la mode : tribunes libres, pamphlets, émissions parodiques dénoncent – à juste titre – les journalistes aux ordres, les manipulations de l’information, l’emprise de la «pensée unique»… Et pourtant, rien ne change : nombre de lecteurs et de téléspectateurs partagent ces indignations, sans modifier pour autant leurs habitudes de « consommation » des médias.

Depuis 1987 que cette enquête existe, le numéro 1 reste la télévision!
(Baromètre 2015 de confiance des Français dans les médias)
Si les jeunes consomment encore de la télévision, c’est pour se divertir (les jeux du Cirque fonctionnent toujours aussi bien). En revanche, pour la plupart des Français adultes, la télé est la première source d’information, loin devant les autres médias (presse et radio). Pour les plus jeunes, Internet a pris cette place, ce qui n’est pas un mal en soi.

Enfin, me direz-vous, il suffit de voir la propagande des télévisions russe, chinoise ou américaine pour se rendre compte que la télé française est bien meilleure! La première partie de cette assertion est absolument vraie.

Arte a monté un dossier sur Poutine et sa machine à propagande, suite à une soirée Théma sur le même sujet :

Environ 90% des Russes regardent la télévision nationale. Une aubaine pour Poutine et son équipe qui organisent de véritables campagnes de désinformation. Grâce au culte de la personnalité, aux multiples extrapolations, au patriotisme exacerbé, et aux critiques virulentes envers les « ennemis de la Russie », le Kremlin règne sans partage sur ce vaste territoire depuis deux ans.

Dimitri Kiseljow est le chef de file de la propagande du Kremlin avec son émission hebdomadaire sur la chaîne « Rossia1 »

Les minorités chinoises sont toutes victimes de la propagande du parti communiste : Tibétains, Ouïgours… Ce qui est étonnant, c’est la façon dont le parti réussi à différencier sa propagande selon que le public visé est membre de la minorité, ou colon venu d’une autre province : Leçon de Propagande chinoise en zone Interdite – France 5, 13 octobre 2015, un documentaire de 52 minutes de Eric Darbré et Axel Royer.

Problèmes de droits de diffusion. Rendez vous directement sur Vimeo (cliquez sur l’image)

Les USA ne valent pas mieux. Ne croyons pas que les méthodes employées en 2003 pour les soi-disant armes de destruction massives en Irak aient été totalement mises au placard (Guerre, mensonges et vidéo – LCP, Docs ad hoc) :

Faut-il revenir sur les No go Zones de Fox News au début de l’année?

En Europe, l’information est bien plus libre, indépendante, objective, pluraliste, en un mot, proche de la réalité. En est-on si sûr? 80% des Russes pensent aussi avoir l’information la meilleure, alors que je ne doute pas qu’ils se trompent. Mais ne sommes nous pas nous même dupes de nos propres médias? La télé française n’est peut-être meilleure par rapport aux gros sabots de MM Poutine et Bush Junior, que parce qu’elle est plus subtile, ne serait-ce que dans le choix des sujets traités, et la manière de les traiter :

Imaginez un monde complètement dominé par les Etats-Unis. Un monde où l’Europe se trouverait réduite à moins d’Etats qu’une main ne compte de doigts. Où les premiers vagissements d’un rejeton royal feraient couler (beaucoup) plus de salive et d’encre que le ralentissement économique de l’Inde. Ce monde-là, en réalité, pas besoin de l’imaginer : c’est celui que les journaux télévisés des grandes chaînes hertziennes (TF1, France 2, France 3, Canal+, Arte et M6) ont dépeint à leurs téléspectateurs en 2013

Le tout petit monde des journaux télévisés
Télérama, 26 juin 2014

Reprenons l’exemple de la fin de cette troisième vidéo : 90 minutes Enquêtes et ses clones partout sur la TNT, dont on ne trouve pas d’équivalent ailleurs qu’en télé. Ils contribuent, avec les JT et les chaines d’info continue, à la construction médiatique des cibles de la peur et de la haine, exactement comme en Russie et aux USA, sauf que ces cibles sont propres à la France. Dans ces trois cas, la peur a à voir avec l’habitude, la répétition du même, le retour d’une figure menaçante :

L’émission [90 minutes Enquêtes] consiste surtout à traquer des faits divers crapoteux en suivant dans leurs activités quotidiennes tout ce que la France compte de forces de l’ordre, puis à mettre le tout en scène de façon anxiogène.

On apprend en effet que la police reçoit «plus de deux mille demandes de reportage en tout genre chaque année», et la gendarmerie «près de mille deux cents dossiers émanant de sociétés de production et de journalistes. Environ 60 % des demandes reçoivent une réponse favorable des deux autorités», nous est-il également précisé. Un rapide calcul nous amène donc au chiffre faramineux de 1920 reportages et documentaires tournés chaque année auprès des forces de l’ordre, soit plus de… cinq par jour ! […] C’est précisément cette banalisation qui pose question, car l’on finit par s’habituer à une programmation télévisuelle qui instille auprès du public, à son insu, une vision sécuritaire de la société. […] Un message qui, abondamment et complaisamment repris, finit par valoir éloge indiscuté et indiscutable de politiques fort peu alternatives.

Si personne ne songe à nier que la sécurité des biens et des personnes fasse problème, affirmer ou laisser dire que les causes de la délinquance, ce sont les délinquants eux-mêmes et que l’origine nationale (voire ethnique) de leurs parents l’emporte sur leurs conditions d’existence, c’est, dans nombre des médias, légitimer des discours de haine qui résonnent dans ceux du Front National. De même, monter en épingle les faits divers délictueux qui envahissent les informations télévisées et multiplier les reportages et les enquêtes sur les prouesses de la police et de la gendarmerie, au détriment des enquêtes sur la misère sociale, c’est laisser croire que les remèdes à la délinquance sont indépendants de ceux que requiert la précarité des conditions d’existence d’une part croissante de la population, et [c’est conduire à] réduire la lutte contre l’insécurité à la traque des délinquants.

« La France a peur! » disait Roger Giquel

La France a toujours peur en 2015, rien n’a changé depuis 1976… Sauf les scores du FN : Ah, ma bonne dame, pensez donc! Avec tout ce qu’on voit à la télé… (Nadine Morano face à Bourdin sur fond d’Aznavour, à partir de 17’20 dans le petit journal du 22 septembre 2015)

«La peur est l’habitude que l’on a, dans un groupe humain, de redouter telle ou telle menace (réelle ou imaginaire)» écrivait en 1975, dans son livre La peur en Occident, Jean Delumeau.

« Ah, ma bonne dame, vous vous rendez compte, avec tout ce qu’on voit à la télé! Toute cette délinquance, tous ces étrangers, et maintenant tous ces migrants… Je ne suis pas tranquille, je voudrais que ça s’arrête. » (Affiche du Front national pour les régionales de 1992 : oui, c’est bien Marion Maréchal-Le Pen dans les bras de papy Jean-Marie)

Il y a pourtant un autre moyen de réduire le sentiment d’insécurité :

 

Un geste simple pour réduire la peur du terrorisme! (dessin de septembre 2012, bien avant Charlie)

Ne ratez pas votre vie : éteignez votre télé et mettez le nez dehors! N’ayez pas peur d’aller vers l’autre. Voyagez en train, en avion, en bateau, à cheval ou en trottinette, mais aussi par les livres et les reportages. Allez à la rencontre des autres sur les réseaux sociaux et IRL!

Aller plus loin :

Lisez aussi :

<MAJ du 21 octobre 2015 : l’enfant et l’image>

La télévision ne poserait problème que pour les enfants. Vraiment?

En tant que parents, on se demande parfois : à quel âge puis-je mettre mon enfant devant la télévision ? Que va-t-il pouvoir regarder ? Peut-il choisir seul ? Dois-je regarder avec lui ? Quelles sont les limites à poser ? Le temps d’une soirée conviviale, venez échanger sur un sujet qui nous concerne tous !

Et qui éduquera les parents?

</maj>

<MAJ du 24 novembre 2015 : Il était une fois la télé>

En 1985 a été tourné un documentaire qui examinait l’empreinte laissée par la télévision sur la société française. Trente ans plus tard, la même démarche a été effectuée pour mesurer, à l’aune des évolutions technologiques de la télévision, les changements de société et de mentalité dans un petit village des Corbières, représentatif de la France rurale. Il est ainsi question du rapport aux actualités, aux autres, à l’étranger, du local et du régional, du vrai et du faux, du progrès, de la vie en communauté dans une société rurale, des métamorphoses de la campagne et du rôle attribué à la télévision dans la construction de la représentation du monde.

En 1985 :

Les gens parlent surtout de ce que la télévision change dans leur vie. Ils prennent les choses au premier degré (violence, misère du monde…) au point de culpabiliser : « Sans la télé, je me sentirais complètement isolé […] L’informations est immédiate, on est informé aussi bien que le Président de la République, le Premier Ministre ou le plus grand PDG ».

Notons que les habitants de la Bastide en Val étaient déjà des anciens en 1985, une majorité avait plus de soixante ans. De cette époque, j’ai peu de souvenirs télévisuels, étant alors plus intéressé par les dessins animés que par les JT. Ma mère en revanche, aime à raconter comment, quand elle était toute jeune, tous les voisins se réunissaient dans la seule maison du quartier dotée d’une télévision, pour voir Zorro. Certains intervenants de ce reportage se rappellent de cette époque et au-delà (poste à galène chez le châtelain local). Souvenons-nous tout de même que pour la plupart des Français en 1985, il n’y avait que trois chaines : Canal Plus n’avait pas un an. Le câble et le satellite étaient des abstractions ; ne parlons pas de la TNT, encore moins d’Internet ou des smartphones.

Trente ans après, en 2015 :

https://www.france.tv/documentaires/societe/15065-il-etait-une-fois-la-tele-30-ans-apres.html (VOD, 1,99€)

Concurrence d’Internet, complémentarité de la presse et de la radio, caractère anxiogène des JT, uniformisation de l’info, matraquage publicitaire, caractère conditionnant des émissions, destruction du lien social, les téléspectateurs de 2015 sont bien plus sévères avec ce média et ceux qui le fabriquent que leurs prédécesseurs de 1985. Il connaissent mieux les ficelles des médias, ce qui leur permet d’exercer leur esprit critique. Si la télé leur sert encore pour se divertir (films, séries et jeux), ils lui font beaucoup moins confiance pour s’informer… Ce reportage est à l’image de ce billet et c’est plutôt réconfortant.

</maj>

<MAJ du 03 décembre 2015 : Chroniques du monde libre>

Voici les 5 (mauvaises) raisons pour lesquelles on peut tout à fait continuer à s’abrutir devant le tube cathodique :

  1. Pour se détendre
  2. Il y a aussi des programmes très instructifs et culturels
  3. Pour s’informer
  4. Pour le bruit de fond, la présence
  5. Pour se moquer de la téléréalité

</maj>

2 commentaires sur “Education aux médias : et la télévision?”

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