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Démocratie de la connaissance contre démocratie des crédules (2) : Internet

Pluton Nasa

Hors d’Internet, le discours à propos d’Internet est souvent le même : danger, menace, complots, rumeurs, hackers, dépendance, terrorisme, pédophilie, prédateurs, désinformation, etc… Même les conspirationnistes s’y mettent, un comble!

Ce n’est pas comme si le phénomène était nouveau. Déjà en 1995

Tout ceci est vrai, mais aurait tendance à faire oublier qu’Internet ce n’est pas que ça. En particulier au niveau de l’information. Internet serait l’instrument de la démocratie des crédules, alors que les autres médias, en particulier le papier, nous en protégeraient. L’exemple de la presse magazine (il y a deux billets de cela) a montré que la rumeur et les complots ne sont pas réservés au numérique et aux réseaux, contrairement à l’hypothèse de Gérald Bronner. Si Internet est un facilitateur pour la démocratie des crédules, c’est aussi le meilleur support pour son pendant, la démocratie de la connaissance.

Au sommaire :

  1. Migration des médias traditionnels
  2. Migration de la recherche scientifique
  3. Pure players
  4. Réseaux sociaux
  5. Youtube
1-Migration des médias traditionnels

Les médias traditionnels (presse, radio, TV…) ont tous un pied sur le réseau. Quand ils critiquent Internet, ils oublient donc un peu vite qu’ils en font partie, et ainsi se critiquent eux-même. L’ensemble de la culture antérieure a migré sur la toile. Si on cherche de la connaissance, on peut la trouver sur les équivalents culturels numériques des anciens médias : presse en ligne, podcasts radio, TV en direct, en replay ou en Vod… Evidemment, comme dans le monde analogique, il revient à l’internaute de choisir entre TF1/M6 et Arte/France 5, entre Skyrock/NRJ et Europe1/France Culture ou entre Closer/Gala et La Recherche/Le Monde. Si on parle d’autres langues, on peut de même trouver les grands médias de chaque pays en quelques clics (El Pais, BBC…).

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Côté livres, sur AmazonGoogle Books ou Européana, on peut choisir entre le dernier essai de Piketty et la dernière bluette à la mode, pour ne pas évoquer les ouvrages plus nauséabonds comme ceux d’un certain Monsieur Z ou d’une certaine Madame T. On peut aussi y retrouver, sans quitter son écran, les grands classiques passés dans le domaine public (Hugo, Zola, Rabelais…), mais aussi des intégrales de journaux ne paraissant plus, des manuscrits anciens, des estampes, des cartes, etc. La BD, les mangas et les comics ne sont pas non plus en reste sur la toile (Izneo, Ave Comics…).

En parallèle des concerts et des salles obscures, la musique, le cinéma, mais aussi les séries sont également dans une phase hybride. Les CD et DVD se vendent toujours, la télévision et la radio les diffusent encore, mais des acteurs, certains historiques, d’autres nouveaux, s’en sont emparés pour les faire passer sur la toile, en streaming : Orange, Canal Plus ou Netflix pour la Vod par abonnement, Spotify, Deezer ou Apple pour la musique…

La plupart des médias de la culture et de la connaissance sont dans une phase hybride, plus ou moins avancée, avec un pied sur le support traditionnel et l’autre sur Internet

Outre les productions médiatiques actuelles, Internet intègre aussi les productions passées, par le biais de la numérisation. Outre les œuvres numérisées dans les bibliothèques (Gallica à la BnF, Numelyo à Lyon, etc…), de nombreux organismes effectuent le clonage de leurs collections depuis leurs supports originaux vers des supports numériques, que ce soit au niveau national (ex : INA), régional (ex : Dastum, Cinémathèques de Bretagne…) ou local (ex : Cartopole de Baud). C’est tout l’univers des archives et des musées dont on peut consulter les collections via ces doubles numériques qu’ils réalisent dans le cadre de leur mission de mise à disposition du public.

2-Migration de la recherche scientifique

D’autre part, l’Internet des origines a été rapidement celui des scientifiques et du monde académique (après une courte phase militaire). S’il y a bien un lieu de connaissance, c’est cet univers. Les revues à relecture par les pairs ont été les premières à migrer sur le net, à marche forcée, sous l’impulsion d’Elsevier, longtemps avant la presse grand public, et sans finalement conserver de version papier (la période d’hybridation a été particulièrement courte : moins de dix ans!). D’autre part, que ce soit en sciences humaines ou en sciences exactes, tous les organismes de recherche sont représentés sur le net : CNRS, INRA, Irstea, IRD, MSHMuséum national d’histoire naturelle, universités et écoles (INSA, ENS…), etc. Et si on cherche une université, un organisme ou une agence à l’étranger, on les trouve aussi. Aux Etats-Unis, les productions des recherches des organismes publics tombent automatiquement dans le domaine public à l’instant de leur diffusion. C’est ainsi que l’on a pu dernièrement admirer les photos de Pluton prises par New Horizons, et qu’on découvre régulièrement les photos des paysages de Mars que nous envoient les Rovers de la Nasa depuis près de 20 ans (Opportunity et Curiosity sont encore actifs, Sojourner et Spirit se sont arrêtés, d’autres sont prévus, et toutes leurs pérégrinations restent en ligne).

Une photo de Pluton diffusée par la Nasa, le 10 septembre 2015. (NASA)

Vous voulez de l’information de première main? Allez visiter les sites institutionnels au lieu de traîner sur Topito! Vous pouvez aussi passer par Google Scholar ou par les archives ouvertes comme HAL, Pubmed Central ou ArXiv. Enfin, les grandes bases de données bibliographiques, statistiques ou factuelles qu’utilisent les chercheurs, ne se distribuent plus qu’exclusivement en ligne, dans tous les domaines : Toxfile, Medline/Pubmed, Pascal et Francis, Current Contents, Chemical Abstracts, BHA… L’Internet académique, le premier chronologiquement, c’est la recherche en train de se faire, c’est la nouvelle République des Lettres. Elle a totalement quitté le papier depuis belle lurette, mais de cela, aucun média ne parle.

Les revues académiques avec relecture par les pairs (peer reviews) sont le mètre étalon de l’activité scientifique. La brique de base de la connaissance n’y est pas tel numéro de tel journal mais l’article. Le taux de citation d’un article sert de référence pour la progression de carrière du chercheur (publish or perish). Du coup, les collègues se citent mutuellement d’un article à l’autre. Cela ne vous rappelle rien? En fait Google n’a rien inventé!
3-Pure players

Internet est aussi le lieu de créations nouvelles qui ne sont le fruit d’aucune migration d’un média plus ancien. Wikipedia est l’exemple parfait. Ce n’est pas le résultat d’un passage de la Britannica ou d’Universalis au numérique, mais bien une nouvelle manière d’écrire et de créer : collaborative et pas seulement collective, et sous licence libre plutôt propriétaire. Contre toute attente, les études qui cherchent à mesurer la fiabilité de Wikipedia en la comparant à d’autres exemples concluent à une équivalence, quand ce n’est pas à une supériorité de l’encyclopédie collaborative. L’étude de la revue Nature qui comparait la fiabilité de Wikipédia à celle de l’encyclopédie Britannica est demeurée la plus célèbre. Ça fait réfléchir quand on parle d’Internet comme soutien de la démocratie des crédules.

Super Madame Michu lutte contre le bidonnage. (humour wikipédien)

Alors oui, il y aussi tout ce que publient les particuliers, les associations, les groupements de toutes sortes, où l’on trouve le meilleur comme le pire, et même où le Comic Sans MS a parfois encore cours. Mais c’est comme avec les autres médias : on doit être capable de sélectionner ses sources, et ne retenir que les bonnes adresses, en utilisant son esprit critique à bon escient : c’est une forme de culture, la culture numérique.

4-Réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sont rarement des lieux de création d’information. En tant que lieux d’échanges, ils sont surtout utilisés pour relayer des informations et connaissances élaborées et analysées ailleurs. Et c’est là qu’est la difficulté : l’article d’un obscur blog fasciste peut côtoyer un article scientifique de haut niveau sans discrimination apparente. Or on a plus confiance dans ses amis Facebook (qu’on n’a parfois jamais croisés IRL) qu’en Google ou Bing, ce qui fait que notre esprit critique reste un peu en veille. Qui n’a jamais, même ponctuellement, partagé un lien en n’ayant lu la source qu’en diagonale? Et combien d’internautes relaient un post sans même avoir vérifié où mène le lien qui s’y trouve? C’est comme ça que se diffusent les rumeurs.

On n’a que l’internet qu’on mérite : on l’utilise comme des consommateurs passifs ainsi qu’on y a été habitués avec la télévision, alors que c’est à nous de le modeler en ne l’abandonnant pas aux extrémistes de tous horizons.

5-Youtube

Des gens œuvrent à la création d’un Internet culturel et éducatif, que ce soit par des blogs, des sites… ou sur Youtube. Tout le monde connait Norman ou Cyprien (j’adore 🙂 ), mais je suis tombé récemment sur des Youtubers d’un nouveau genre. Ils vulgarisent la connaissance avec chacun un domaine de prédilection :

Ce n’est qu’une petite sélection totalement subjective. Pour en trouver d’autres, visitez le site de l’association La vidéothèque d’Alexandrie, une plateforme visant à faire découvrir des contenus culturels sur internet, et qui permet à tous les vidéastes de venir demander des conseils sur la création audiovisuelle et sur l’univers Youtube. Des vidéos y sont partagées avec l’accord de leurs auteurs, et il y a même un classement par catégories pour chercher en fonction de ses centres d’intérêt. Un autre moyen est de visiter la plateforme de financement Tipeee, qu’ils sont nombreux à utiliser. Enfin, les travaux de plusieurs Youtubers en sciences sont réunis sur la plateforme VideoSciences, hébergée par le C@fé des Sciences.

Pour comprendre la démarche de ces Youtubers vulgarisateurs et ce qui les motive, regardez cette conférence de quatre d’entre eux à l’occasion du Vulgarizators organisé par l’ENS de Lyon et l’association ConferENS : Marion Montaigne (Tu Mourras Moins Bête, blog BD), Patrick Baud (Axolot), Léo Grasset (DirtyBiology) et Bruce Benamran (E-penser)

Ce qui nous réuni c’est qu’on parle de matières qu’on étudie à l’école. [Mais] Nous on essaie d’aborder le truc sous un angle qui va leur permettre de réaliser que les trucs les plus fascinants, c’est physique, c’est la chime, c’est l’histoire.

*Youtuber : personne qui fait des vidéos et en tire des revenus, que lui fournit un « network » qu’il a rejoint : Maker, Machinima, Revision3…

Ces Youtubers luttent contre la démocratie des crédules que décrit Gérald Bronner en occupant le terrain, en ne le laissant pas totalement livré à toutes les formes d’obscurantisme. Ils contribuent à la démocratie de la connaissance que Bronner appelle de ses vœux :

S’il faut bien reconnaître les limites de notre cerveau, il reste néanmoins possible, « d’affaiblir le pouvoir d’attraction qu’exercent ces raisonnements captieux sur nos esprits. » L’esprit critique, car c’est de cela qu’il s’agit, « ne peut s’acquérir qu’à force d’exercices persévérants ». La responsabilité particulière du système d’enseignement est souligné pour « creuser le sillon de la pensée méthodique pour que chacun soit en mesure de se méfier de ses propres intuitions, d’identifier les situations où il est nécessaire de suspendre son jugement, d’investir de l’énergie et du temps plutôt que d’endosser une solution qui paraît acceptable : en un mot, de dompter l’avare cognitif qui est en nous tous. »
C’est ce travail indispensable à l’avènement d’une démocratie de la connaissance qu’appelle Gérald Bronner de ses vœux. Un effort qu’il convient particulièrement de faire dans les écoles de journalisme et dans les différentes écoles d’administration.

Il faut donc cesser de décrire Internet comme un repère d’obscurantistes et d’extrémistes lus par une population exclusivement constituée de gens crédules : ce n’est pas la télévision Russe. Ce phénomène existe mais ne concerne qu’une toute petite partie du réseau. C’est la loupe déformante des réseaux sociaux et des médias qui en grossit l’importance.

Le web, c’est d’abord et avant tout la plus formidable concentration de connaissances que le monde ait jamais connu. C’est comme l’extension de l’encyclopédie de Diderot du XVIIIe siècle, boostée par la puissance de l’informatique du XXIe. Souvenez-vous, ou essayez d’imaginer pour les plus jeunes, du nombre de démarches qu’il fallait faire pour trouver une info, acquérir des connaissances, avant Internet. Sachons donc en prendre soin : les autres médias (TV, radio, presse, livres, musique, cinéma, archives, musées…) d’un grand nombre de pays y ont un pendant numérique, la totalité de la recherche scientifique mondiale y a migré de longue date, et on peut trouver des créations de qualité chez les pure players, si on s’en donne la peine. En ce sens, Internet est le meilleur vecteur de la démocratie de la connaissance. Encore faut-il que les gens décident de s’en servir comme tel : il y a un gros travail de médiation à faire, et l’éducation aux médias ne concerne pas que les ados.

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3 commentaires sur “Démocratie de la connaissance contre démocratie des crédules (2) : Internet”

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