La bibliothèque municipale de la commune de mes parents est ouverte tous les jours (sauf le jeudi) pendant les vacances. Chouette! Me suis-je dit, je vais pouvoir profiter du Wifi alors que je suis loin de chez moi!
Désillusion : la connexion est pourrie, ça coupe toutes les cinq minutes.
Il y a quelques minutes, j’ai aidé une usagère débutante à envoyer un mail depuis sa boite Yahoo. M’étant assuré qu’elle avait compris le principe, je l’ai laissée s’occuper de ses autres mails. Depuis que je suis retourné à mes affaires, ça a déjà coupé deux fois. Derrière moi, j’entends l’usagère pester : « C’est navrant, j’avais tout écrit et j’ai tout perdu, je vais devoir tout réécrire. C’est super décevant. » Réponse de la bibliothécaire : « Je n’ai rien touché de mon côté, attendez un peu pour voir si ça revient? » Conclusion de ma voisine : « Bon, je vais y aller ». Ou comment fidéliser son public.
Les bibliothécaires qui voient leur box Wifi comme une boîte magique à laquelle il ne faut surtout pas toucher me gavent. La bibliothèque du futur qui ne jure que par les livres et qui ne considère le Wifi que comme un service « plus », donc facultatif a encore frappé.
Alors que le Wifi a encore lâché durant vingt bonnes minutes, un peu plus loin les utilisateurs des postes informatiques en accès libre s’impatientent : « Ça marche pas ». Ils sont partis.
Lorsque je suis parti à mon tour pour la même raison, une heure avant la fermeture, il ne restait plus à la bibliothèque… que la bibliothécaire derrière sa banque de prêt, en train de lire un roman. Alors c’est ça le métier de bibliothécaire? Naïvement j’ai cru pendant toutes ces années les intervenants de l’enssib, du CFCB et de quantités de Journées d’études, formations et séminaires, quand ils disaient qu’on n’avait pas le temps de lire sur son temps de travail. Apparemment ce n’est qu’une posture, ou alors cette bibliothécaire salariée depuis plus de quinze ans dans la même institution est particulièrement efficace dans son travail… mais peu intéressée par ses usagers : sur les neuf personnes que j’ai croisées le temps que j’y étais, six étaient là pour Internet. L’usagère aux mails et moi-même sommes au moins deux qui ne remettrons pas les pieds dans cette bibliothèque. Parmi les jeunes des postes en libre accès, privés de cybercommune pour cause d’alternance municipale, il très probable que la plupart finisse par se lasser aussi.
Quand je pense que la semaine dernière, j’ai eu un entretien dans une bibliothèque où le Wifi est resté en panne pendant au moins deux ans (mais tout allait bien puisque le technicien de la mairie était au courant), et qu’on m’a demandé quel type de romans j’aimais lire au lieu de s’intéresser à mes compétences, je suis terriblement déçu.
Les formations et séminaires de recherche d’emploi fleurissent en ce début d’été : ADBS, PoleDocumentation… A quoi bon? J’aurai mis 16 ans à comprendre qu’il vaut mieux dire qu’on veut travailler en bibliothèque par amour des livres, et qu’on adooore Pancol, Levy et Musso.
Je ne suis pas le seul exemple, en voici un autre tiré de la page Facebook « Nan, sérieusement » :
Allez de temps en temps, faut être réaliste et méchant, parce que la bibliothèque, c’est pas tout le temps le Pays des Bisounours et souvent, on tombe sur des olibrius ! Entretien : – « J’ai crée un coin jeunesse avec des animations ludiques et pédagogiques, un festival du cinéma, un concours du court-métrage, un atelier de film d’animation, un café littéraire, un espace d’information touristique sur la France, monté une expo …. » – « Nan mais attendez ! ça nous intéresse pas du tout ! » – « Ah bon, ben alors vous voulez que je fasse quoi ? » – « Mais ranger les livres bien sûr ! »
De mon côté, j’avais fait étalage de mes capacités en reprenant point par point les compétences demandées et les tâches décrites dans l’annonce. La première question a été :
Vous avez fait beaucoup de choses, mais qu’est-ce que vous lisez comme romans?
La question m’a réellement déstabilisé. Je venais de conclure par deux exemples bien sentis d’expériences à l’accueil du public, avec un DVD jeunesse et des romans du terroir. Quand on m’a demandé pourquoi je travaillais dans les bibliothèques, j’ai failli tomber de ma chaise : j’avais commencé ma présentation en précisant que j’étais de la partie depuis 1998. Qu’est-ce qui m’a motivé il y a seize ans, attendez que je me souvienne… J’en parle continuellement dans ce blog, et pourtant j’ai séché au moment de répondre.
Le fait que je préfère lire des essais plutôt que des polars a été plus déterminant que la somme des projets auxquels j’ai participé. Faudra-t-il que j’abandonne mon métier pour aller candidater dans les fast-food? C’est l’objet même de ce blog qui perd sa raison d’être : bibliothécaire, ce n’est pas un métier. C’est une voie de garage pour littéraires pas foutus de réussir une école de commerce ou d’ingénieur. Que suis-je venu faire dans cette galère?
Vive le Mac Do! Il est à 20 Km (40km d’essence A/R) de chez mes parents mais au moins je suis sûr que le Wifi y sera en état de marche.
ah ah ah
dans ma commune : pas de page facebook pour la bibliothèque car , dixit l’informaticien « facebook j’aime pas , je m’en méfie et puis les gens vont s’en servir pour critiquer la mairie »
dans ma commune dixit l’Elu lui même « pour travailler à la bibliothèque il suffit de savoir enlever l’alarme pour entrer , après c’est tout simple » (merci pour tant de reconnaissance ô chef)
alors je suis jalouse de ton wifi , tout minable qu’il soit …
et je pourrais écrire un texte mille fois plus long , mais sache que je te comprends et que je compatis beaucoup beaucoup…et je n’ai jamais eu le temps de lire au boulot ! reste avec nous, ne va pas au fast food , tes billets nous manqueraient !
Merci pour ces encouragements.
Je viens de comprendre aujourd’hui que ma mentalité de documentaliste m’a joué un tour à cet entretien. Je considère que les romans sont des documents comme les autres, alors que visiblement cette professionnelle les place à part dans les collections de sa bibliothèque. Elle est responsable du secteur adulte, mais je pense que tous ce qui est CD, DVD (pour tous), BD (certaines estampillées adulte), périodiques (valeurs actuelles c’est pas pour les enfants), documentaires (non, Éléments d’histoire des sciences de Michel Serres n’est pas un roman)… est accessoire pour elle. Le garder à l’esprit pour un prochain entretien, car elle n’est sans doute pas la seule.
Néanmoins, si je suis censé conseiller les gens pendant que j’ai la douchette à la main, il me semble que dois être en mesure de les conseiller sur l’ensemble des collections de la bibliothèque, et pas seulement sur la fraction de romans que j’aurais lus jusqu’à la dernière page?