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Des pratiques culturelles au delà de l’écran

L’article de Nicholas Carr a été traduit par Framablog. La traduction a été reprise par le journal Le Monde

Au regard du temps passé devant mon écran, quel lecteur suis-je au sens du Crédoc ou des Pratiques culturelles des français? Assurément un petit lecteur. Serais-je atteint du syndrome décrit par Nicholas Carr en 2008 : Is Google making us Stoopid ? – ie l’incapacité à se concentrer longtemps sur un texte,  article scientifique ou livre, conditionnés que nous serions par le  côté «multitâches» et l’instantanéité d’Internet. Je ne le pense pas, ne serait-ce que le temps que je passe à lire sur écran hors connexion : même si je navigue entre :

  • mes onglets,
  • mes navigateurs,
  • le bloc notes,
  • le traitement de texte,
  • le gestionnaire de documents
  • et parfois mes boîtes mails,

cela ne m’empêche pas de lire les articles préalablement sélectionnés jusqu’au bout, commentaires compris. Utiliser plusieurs outils à la fois n’est pas nécessairement synonyme de dispersion. Ce n’est pas une question de neuro-machin-chose mais de stratégie et de méthode : bibliothécaire, c’est un métier ! L’érudit local de la section patrimoine qui effectue une lecture active papillonne de même entre :

  • son livre ancien,
  • ses notes manuscrites,
  • sa bibliothèque pleine d’autres livres où il va chercher une référence,
  • son courrier où on l’informe d’une ressource intéressante aux archives départementales.

On ne le taxe pas pour autant de manque de concentration ! Tout au plus radote-t-il un peu avec l’âge 🙂 . L’article de Nicholas Carr est d’ailleurs particulièrement long (un des commentateurs, vilain papivore, parle de 13 pages) : ceux qui sont atteints de ce syndrome ne sauront jamais qu’ils le sont !

D’autre part, je ne passe pas toute ma vie devant mon écran.

L’étude de Gartner sur la lecture numérique menée à travers 6 pays : Etats-Unis, Angleterre, Chine, Japon, Italie et Inde, montre entre autres que les enquêtés passent autant de temps à lire sur des écrans que sur des supports papier.

Concernant la France, le baromètre REC (Référence E-Content) de l’institut GfK, mesurant les comportements et la consommation de contenus en ligne, montre que 22% des français passent entre 1 et 3h de leur temps hebdomadaire à lire des contenus numériques, et que 53% des sondés téléchargent et/ou consultent la presse en ligne. Le rapport concède que les deux formats, papier et numérique, restent complémentaires.

Je ne fais pas exception.

Premièrement, pour l’information générale (Côte d’Ivoire, Libye, Fukushima, Afghanistan/Pakistan, primaires, 2012…), je ne lis pas : ni la presse quotidienne, ni Internet. En revanche, je suis un grand consommateur de radio. Le carré France Inter-France culture-France info-Europe 1 répond pleinement à mes attentes. En plus on peut écouter tout en faisant autre-chose (Internet n’a pas l’exclusivité du multitâche). Détail important, je fais partie des 5% de français qui par choix, n’ont plus la télévision. Celle-ci tient largement tête à Internet pour nous rendre «stoopid». Avant les Y, enfants de l’Internet, il y a eu les X (dont je suis), enfants de la télé. De toute façon, on peut retrouver sur Internet le plus intéressant de la télé via la Vod (la fonction “télévision de rattrapage” est souvent gratuite. Exemple : les Guignols de l’info).

Concernant mes lectures proprement dites, je lis de moins en moins de romans. Je suis donc un mauvais élève pour le Crédoc. Néanmoins, je lis beaucoup. Paradoxe ? Plutôt une question de définition. Les pratiques culturelles des français ne prennent en compte dans leurs statistiques que les romans et essais, sans imaginer que les BD ou les albums pour enfants sont aussi des livres. Pour ce qui est des lectures professionnelles, j’ai suffisamment détaillé au long des quatre billets qui précèdent.

En 2010, j’ai donc lu 7 livres au sens du Crédoc :

Pas fameux me direz vous. Pourtant, je compte 15 lectures pour 2010. D’où vient la différence ? Outre les BD dont la comptabilité est difficile à tenir, je suis un grand amateur de Hors séries de revues, qui permettent d’approfondir un sujet en une centaine de pages. En 2011, j’en suis à sept pour l’instant, tandis que je n’ai encore lu qu’un seul «livre» : Indignez vous, de Stéphane Hessel… 29 pages!

  • Sciences humaines HS  Une autre histoire des religions  Nov-dec 2010  79 p.
  • Les cahiers de Science & Vie  La ville au Moyen Age  Dec-jan 2011  114 p.
  • Les cahiers de Science & Vie  Naissance de la Médecine  Fev-mar 2011  114 p.
  • Sciences Humaines HS Spécial  La grande histoire du capitalisme  Mai-juin 2010  90 p
  • Hors-série Marianne-L’Histoire  La guerre civile en France  Février-mars 2011  98 p.
  • Les Grands Dossiers des Sciences Humaines  Villes mondiales les nouveaux lieux de pouvoir  Décembre 2009-février 2010 81 p.
  • Les Grands Dossiers des Sciences Humaines  Consommer Comment la consommation a envahi nos vies  Mars-mai 2011  82 p.

Cependant, selon les années, je peux changer de catégorie statistique. Je pense en effet que personne ne lit le même nombre de livres d’une année sur l’autre. L’année où j’ai le moins lu de livres est celle du bac : 5 au total (!) ; celle où j’ai le plus lu est celle du service militaire : 27, uniquement des livres. Entre ces deux extrêmes, des hauts et des bas, pas de moyenne significative, pas de tendance dans le temps. En 2010, je compte 15 lectures contre 20 lectures dont 14 livres en 2009, incluant Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss. Tout dépend de ce qu’on fait à côté, or c’est très variable d’une année à l’autre. Pendant mon année à Mulhouse, juste après le service militaire, je suis passé de 27 à … 6 livres, mais c’est l’année où je lisais le plus la presse, où j’ai assisté à un maximum de spectacles vivants (théâtre, danse, opéra, etc : 6), où je suis allé le plus au cinéma (16 films), où j’ai visité le plus de musées et de villes (40 sites). C’était autant de temps en moins pour la lecture, alors même que je n’avais déjà plus la télévision.

J’ai toujours lu. Je suis passé de la lecture-plaisir à la lecture-contrainte en 3e (à «Lassie chien fidèle» a brusquement succédé «René», de Chateaubriand, Les six compagnons ont été supplantés par La Chartreuse de Parme de Stendhal), avant de revenir à la lecture plaisir… en 1ere, l’année du bac de français ! Heureusement, car sinon j’aurai peut-être arrêté de lire après le bac. En repassant à la lecture-plaisir, j’ai exploré des lectures hors programme scolaire, ce qui m’a permis de découvrir et d’affiner mes goûts à moi, pas ceux de l’éducation nationale.

J’ai eu une courte période héroïc-fantasy/fantastique (Moorcock, Lovecraft), qui s’est achevée avec Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, indépassable, qui m’a accompagné un an durant. En parallèle, je continuais les classiques (Le Clézio, Dostoïevski, Kessel…), puis j’ai découvert les essais. En Fac de sciences, Charles Baudelaire et Edgar Poe côtoyaient Théodore Monod, Claude Allègre, Hubert Reeves, mais également Jean Jacques Rousseau et Sigmund Freud). J’ai aussi eu une période roman historique (Guy Rachet, Christian Jack, Jean d’Ormesson), avant de trouver que la vraie histoire était plus intéressante que les romans éponymes. Les «histoires de» sont ainsi venues s’ajouter à mes lectures : de la philosophie, de la pensée, de l’architecture, de Paris (Jean Favier), etc… et surtout des sciences avec Michel Serres. Dans le même temps je découvrais les Cahiers de Science & Vie et sa série Les génies de la science. Enfin, je me suis ouvert aux sciences humaines avec Jean François Dortier, tout en m’interrogeant sur la bretonnité (Anatole Le Braz, Per Jakez Helias…).

J’ai même lu Les liaisons dangereuses, de Pierre Choderlos de Laclos sur l’écran d’un ordinateur de bureau. En 2003 bien avant la démocratisation des tablettes, c’était un défi. Cet acte de lecture était il celui d’un «livre» ? Pas de pages, pas d’éditeur, pas de collation, pas même d’ISBN, juste une adresse d’archive : le pavé ISBD en prenait un coup ! Même UNIMARC n’était pas très armé pour ce type d’ovni à l’époque. Les chose ont bien changé depuis : aux Etats-Unis, en février dernier, il s’est vendu plus de livres numériques (e-books) que de livres de poche (source Livre et lecture en Bretagne).

Si je n’ai lu ni La Princesse de Clève, ni Deleuze, on ne peut donc pas dire que je me contente de la biographie de Loanna et de la revue Gala pour mes lectures.

Lecture-contrainte, lecture-plaisir, lecture professionnelle, mes pratiques sont à l’image des pratiques des français, ce qui complique les enquêtes quantitatives, comme le souligne Olivier Donnat :

La multiplication des actes de lecture sur écran au cours de la dernière décennie n’a fait qu’accentuer les difficultés du sociologue qui s’efforce de quantifier la réalité de la lecture : comment les personnes interrogées  comprennent-elles l’expression « lire un livre » ? Comment procèdent-elles exactement pour évaluer le nombre de livres qu’elles ont lues au cours des 12 derniers mois ? Ces interrogations obligent à la plus grande prudence au moment d’interpréter les chiffres recueillis en situation d’enquête et notamment à ne pas oublier que la lecture de livres ne représente qu’une petite partie des actes de lecture (ceci est encore plus vrai pour la lecture de littérature…).

Comme Bertrand Calenge, comme la plupart des usagers -fréquentants et non-fréquentants-, de papivore, je suis devenu omnivore. La lecture sur écran complique donc la donne, mais ce n’est pas une raison pour faire comme si elle n’existait pas. Si Olivier Donnat en est conscient, les bibliothèques le sont-elles ?

Par ailleurs, il faut bien reconnaître que l’arrivée du numérique constitue un réel problème pour tous ceux qui mènent des enquêtes quantitatives, du type de Pratiques culturelles.

Aujourd’hui, mes lectures-plaisir sont fonction de mes interrogations du moment tout autant que du hasard (la fameuse sérendipité) : aucune stratégie, une démarche totalement opposée à la veille pour ce blog. Or sans les bibliothèques, tout ceci aurait été impossible, car j’achète beaucoup moins que je n’emprunte. Question de finances, mais aussi de style de vie : en 1998, juste avant la fondation de Google, Pierre Sansot écrivait Du bon usage de la lenteur. C’était aussi l’époque de La première gorgée de bière.

Librairie de quartier, Rennes
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1 commentaire pour “Des pratiques culturelles au delà de l’écran”

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