http://www.acim.asso.fr/spip.php?article335
Ce manifeste insiste sur le fait que les CD restent complémentaires du Web pour une offre de qualité en bibliothèque :
[…] l’offre musicale en bibliothèque ne saurait se résumer à une borne de téléchargement ou à une ressource en ligne. Si la place du support CD pourrait être amenée à se réduire à moyen terme, sa présence reste pour l’instant la meilleure manière de matérialiser dans nos locaux une offre musicale hybride, c’est à dire mélangeant collections physiques et collections dématérialisées.
C’est un point de vue qui se défend. Néanmoins, si les professionnels sont habitués aux CD, le cas de la musique dématérialisée est plus problématique. Les possibilités ne sont pas fixées et l’on en est aux expérimentations, tant chez les fournisseurs que dans les bibliothèques.
Depuis 2006 aux Champs Libres où je cataloguais des CD 8h par jour avec l’aide du All Music Guide pour l’indexation, il me semble que la consommation de la musique a énormément changé. Elle est comme passée dans une autre dimension. Au temps du P2P, il s’agissait encore de s’échanger des MP3 issus du ripping de CD. Ma bibliothèque musicale personnelle est ainsi composée de fichiers sons que j’ai fabriqués de manière artisanale. Ils sont tous issus de CD que j’ai eu en main. J’ai rempli tous les champs ID3 moi même. Je navigue encore d’albums en albums dans le gestionnaire de fichiers ou dans Winamp comme je le faisais sur mes étagères au temps des cassettes audio. Cela représente peut-être 2 à 300 albums et je connais chacun d’entre-eux. En fait, je suis un dinosaure.
Les plateformes de streaming ont chamboulé les modes d’écoute de la musique. Cela n’a plus rien à voir avec l’écoute ponctuelle des artistes à la mode via leurs clips sur Youtube. Je m’en suis rendu compte à la lecture du journaliste musical Philippe Astor, dans un article où il décrit sa manière de veiller avec Spotify et Twitter dans une première partie, avant d’imaginer son logiciel d’écoute musicale idéal dans la deuxième.
Au total, ma bibliothèque musicale personnelle dans Spotify, fruit d’un premier écrémage brut de son catalogue de 10 millions de titres, comprend près de 6000 albums, 650 listes de lecture ou playlists, et plus de 32 000 titres ; alors que mon profil personnel, fruit d’un écrémage beaucoup plus avancé, ne contient que 97 listes de lectures, que j’ai rendues publiques, et quelques milliers de titres, soit l’équivalent de quelques centaines d’albums.
J’ai eu l’impression d’avoir traversé la Porte des étoiles et de me retrouver dans un monde inconnu. Quand je pense qu’un homme politique que chacun reconnaitra, venu se montrer aux Eurokéennes, a cru faire la preuve qu’il était dans le coup en précisant : «J’espère voir Zaz car j’aime bien Zaz. Comme on dit quand on est jeunes, j’ai même le CD » ! Les journalistes n’ont pas manqué de souligner qu’il avait une génération de retard du fait du MP3. Or le MP3, façon rippé ou iTunes ne fait que reproduire le modèle d’écoute et d’achat hérité du CD. A l’inverse, les plateformes de streaming sont à la musique ce que Science Direct a été aux revues scientifiques : une révolution rendue possible par le changement de support, mais en fait bien plus importante que ce dernier en soi. Notre sympathique amateur de CD n’a donc non pas une, mais deux générations de retard. Ou pour le dire autrement, trois générations d’amateurs de musique enregistrée coexistent.
En parler, c’est bien, pratiquer, c’est mieux. C’est pourquoi j’ai ouvert un profil Spotify pour mieux comprendre l’article de Philippe Astor. Ce qui rapproche Spotify et Science Direct, c’est qu’on se retrouve avec un corpus immense issu des catalogues des grandes firmes. Sur les plateformes de services musicaux, l’intérêt n’est pas tant de retrouver ce qu’on connait déjà, que d’écouter ce qu’on ne connait pas encore. Mais comment s’y retrouver dans un tel corpus ? On peut naviguer au hasard, comme le ferait un néophyte allant de page en page sur le Web, mais cela devient vite lassant. La sérendipité a ses limites quand on n’a aucun aucun repère, aucune “vue d’ensemble” :
Cette idée de “vue d’ensemble” qui sous-tend la démarche du bibliothécaire a une portée considérable sur le plan pratique car c’est sa connaissance intuitive qui donne les moyens à certains privilégiés d’échapper sans trop de dommages aux situations où ils pourraient être pris en flagrant délit de non-lecture. Les personnes cultivées le savent – et surtout, pour leur malheur les personnes non cultivées l’ignorent – la culture est d’abord affaire d’orientation. Être cultivé, ce n’est pas avoir lu tel ou tel livre, c’est savoir se repérer dans leur ensemble, donc savoir qu’ils forment un ensemble et être en mesure de situer chaque élément par rapport aux autres.
Pierre Bayard, Comment parler des livres que l’on a pas lus p.27
Imaginez-vous au fin fond de la banlieue d’une ville asiatique. Toutes les constructions se ressemblent, et vous ne savez pas lire les idéogrammes de votre plan. Que vous choisissiez de chercher la verdure à la campagne ou d’aller en centre ville pour trouver un restaurant ou un hôtel, vous ne savez pas vers où aller. D’ailleurs vous ne savez pas au juste où vous vous trouvez. Vous n’avez pas les clés du pays. Comment allez-vous faire ? Je vous laisse réfléchir un moment…
Je me suis retrouvé dans cette situation en Russie. Le train venant de Saint-Pétersbourg m’a conduit au cœur de Moscou, j’ai trouvé facilement la station de métro attenante à la gare et là, instant de doute. Quelle ligne prendre pour rejoindre mon hôtel, et dans quelle direction ? En fait, je ne savais même pas dans quelle partie de la ville je me trouvais. Toutes les indications, sur les plans, sur les plaques des noms de rues étaient en cyrillique. J’ai retrouvé cette impression quand j’ai découvert Spotify il y a quelques jours. Dans les deux cas, je m’en suis sorti par le même moyen : j’ai demandé mon chemin aux gens. A Moscou, j’ai usé de l’anglais, de l’allemand et des gestes. Sur Spotify, j’ai utilisé les playlists des autres. D’abord celles de Philippe Astor, puis celles… de la bibliothèque de Barcelone ! Celle-ci partage son retour d’expérience dans un article traduit sur le site de l’ACIM.
Mais comment trouver de nouvelles playlists ? Via les réseaux sociaux bien sûr ! Spotify est ainsi interfaçable avec Facebook. Un article d’Ownimusic montre la force du modèle associant plateforme de services musicaux et réseaux sociaux : Le jour où Spotify a changé le monde.
Cependant, le manifeste de l’ACIM pointe un défaut majeur des plateformes de streaming :
Renoncer à la musique en bibliothèque reviendrait à l’abandonner aux acteurs du secteur marchand qui n’ont pas le souci de la diversité et de la pérennité des œuvres musicales. Tout n’est pas sur le net et tout n’y est pas visible. Malgré son apparente abondance (plus de 7 à 8 millions de titres annoncés sur des plateformes de streaming), l’offre de musique en ligne reste lacunaire dès lors que l’on sort des musiques de consommation courante.
Comme pour toute découverte, je me retrouve moins avec des réponses qu’avec de nouvelles questions :
- Quel est le modèle économique, comment sont rétribués les ayant-droit ?
- Qu’en pensent les majors de l’industrie musicale, plus attachées au modèle iTune d’achat de MP3, calqué sur le modèle d’achat de CD ?
- Quels sont les systèmes de recommandations ? Sont-ils les mêmes d’une plateforme à l’autre ?
- Et la question la plus importante : comment les bibliothèques peuvent intégrer ces plateformes dans leur médiation ?
L’exemple de Barcelone semble bien isolé. Les bibliothécaires musicaux sont décidément toujours aux avant-postes par rapport à leurs collègues. Quand j’y verrai plus clair, à mesure de mes découvertes, ce sera l’occasion de futurs billets dans ce blog.
Articles liés :
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- Bibliothèques et streaming : musique 2.0?
- Médiation et musique à l’ère numérique (1) – nouveaux usages
- Médiation et musique à l’ère numérique (2) – streaming
<MAJ du 25 avril 2014 : Rencontres Nationales des Bibliothécaires Musicaux de l’ACIM>
J’étais le 17 mars dernier à l’Antipode MJC à Rennes pour les Rencontres Nationales des Bibliothécaires Musicaux de l’ACIM. Entre médiation numérique et partenariats locaux avec les groupes de musique et les lieux culturels locaux (Opéra, écoles de musique, résidences d’artistes…), l’hybridation se poursuit sur fond d’Education Culturelle et Artistique (EAC) de nos chères petites têtes blondes.
Le programme et les enregistrements des deux journées sont disponibles sur le site de l’ACIM.
En guise de complément, l’émission Service public sur France Inter le 03 avril suivant avait pour titre : Du vinyle au streaming, les défis de la musique en ligne. Ci-dessous les notes que j’ai prises pour Facebook, des morceaux choisis d’intervenants :
« Le streaming et l’abonnement ont remplacé le téléchargement. Posséder un fichier comme on possédait des CD n’intéresse plus les gens. Cette mascarade est terminée »
« Quand on achetait un CD, on n’achetait pas seulement de la musique, on achetait un contexte autour de la musique, une jaquette, un produit qui permettait de savoir pourquoi on allait aimer, d’être une sorte de passeur. Aujourd’hui il faut reconstituer ça sur Internet et sur le mobile. C’est pour cela qu’on fait des sessions, de la musique live ; on a cette découverte, on accompagne les gens quand ils savent ce qu’ils veulent écouter, mais aussi dans des smart radios, des radios qui leur permettent parfois d’écouter quand ils ne savent pas ce qu’ils ont envie d’entendre, et c’est tout ça qui fait finalement que les gens s’abonnent. »
« Le consentement à payer est très faible chez les jeunes. On est en train de réinventer l’eau chaude : quand le consentement à payer a-t-il existé chez les jeunes? Quand j’étais au collège et au lycée, je n’avais pas d’argent. Je n’étais pas plus prêt à payer que les jeunes d’aujourd’hui. On échangeait nos disques, on faisait des cassettes, j’allais à la médiathèque… »
</maj>
<MAJ du 6 novembre 2015 : Médiation, musique et numérique>
Musique en ligne via MusicMe (7 millions de titres), deux webradios où sont mis en valeur non pas ce qu’aime la professionnelle, mais ce qui peut plaire à son public, donc tous les genres de musique. Bravo à Civaux et à la Vienne! (16e minute sur ce reportage de France 3)
La Nouvelle République donne des précisions :
La médiathèque, en collaboration avec le conseil départemental et musicMe Pro, lance un nouveau service innovant en milieu rural : « Écoutez de la musique en ligne avec musicMe. » « MusicMe est une plateforme d’écoute en ligne de musique. Sept millions de titres sont disponibles en streaming dans tous les genres musicaux, gratuitement, grâce au concours du conseil départemental de la Vienne », explique Fanny Machette, responsable de la médiathèque. « Le travail collaboratif de plusieurs bibliothèques du département permet aux inscrits d’avoir accès à des contenus régulièrement mis à jour : web radios, commentaires, coups de cœur… C’est gratuit et sans publicité, il suffit d’une inscription en ligne pour accéder à toute la musique »
Le site de la médiathèque de Civaux annonce que ce service est pour l’instant une expérimentation, destinée à évaluer sa pérennité. La médiathèque propose par ailleurs le prêt d’une liseuse garnie d’eBooks et alimente un compte Facebook. Il n’est pas inutile de préciser que Civaux compte un peu plus de 1000 hab seulement.
Visitez l’espace MusicMe Pro de la bibliothèque départementale de la Vienne : http://vienne86.mt.musicme.com/
Dans le Haut Rhin, l’expérimentation pionnière avec MusicMe est pérenne depuis de nombreuses années maintenant, via Calice68.
</maj>
Hello, Frank!
It’s not Moscow metropolitan, it’s Saint-Petersburg metropolitan on the picture:)
Hello Ilya!
Yes, you’re right! I copied rapidly a photo with Cyrillic from my hard drive, and I made a mistake with the caption. Thank you!
I correct my mistake immediately : I add photos of Moscow and I change the caption for SPb
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