Les offres du billet précédent n’ont rien à envier à celle qui m’avait tant révolté, me faisant affirmer que “Certains employeurs ne doutent de rien”. La lecture de l’article de Joachim Schöpfel sur “L’avenir du métier de bibliothécaire” prend alors une résonance particulière :
Aujourd’hui, nouvelles technologies et pratiques informationnelles défient une fois de plus le rôle du bibliothécaire. Pour autant, son pronostic vital est-il engagé ?
On peut se le demander.
Tous les ans, l’ENSSIB forme environ 150 nouveaux bibliothécaires et autres professionnels du livre ; s’y ajoutent les autres diplômés d’un master ou d’une licence universitaire.
Que vont faire tous ces étudiants ? Leur formation est de qualité, mais où iront-ils exercer leurs compétences? Il serait temps de se rendre compte que les débouchés des années 1980-1990 ont quasi disparu : l’appel d’air du aux départs en retraite des baby boomer n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu. Pire, les départs en retraite pourraient déboucher sur une déqualification du métier (affaiblissement numérique des catégories A).
Les bibliothécaires de Hong Kong, du Lesotho ou de Sheffield n’ont pas la même vie. Mais partout les défis sont considérés comme autant d’opportunités à saisir. Partout, plus que la spécialisation, flexibilité et polyvalence sont valorisées. Il faut se former, apprendre, faire preuve d’imagination et de créativité.
En effet il faut faire preuve d’imagination et de créativité quand on a un contrat de 14h hebdo. Mais quand trouvera-t-on le temps de se former et d’apprendre ?
N’empêche : le pire de ces cavaliers de l’apocalypse, c’est la politique culturelle et financière. […] les bibliothèques ne sont pas en concurrence avec les NTIC mais avec les priorités politiques du moment, y compris le remboursement de la dette publique.
C’est en effet le vrai problème : plus que les nouveaux usages, les eBooks, Internet ou la résistance au changement des collègues, c’est le manque de moyens (financiers et humains) qui nous tuera. Cela me fait penser à la réplique favorite de Ken le survivant, un manga de ma jeunesse :
“Tu es déjà mort et tu ne le sais pas encore”
Alea Jacta est (source Wikipedia):
Généralement la traduction de cette locution latine est « le sort en est jeté » ou « les dés sont jetés » ce qui signifierait l’abandon de l’individu au hasard, aux événements sur lesquels il n’aurait aucune emprise, n’ayant plus la possibilité de revenir sur ce qui a été commis.
Mais une autre interprétation tendrait à indiquer que le locuteur choisit de prendre un risque en précipitant les évènements, même s’il n’en est pas totalement le maître : il prend en main sa vie.
La première interprétation est fataliste alors que la seconde est une apologie du libre-arbitre.
Joachim Schöpfel envisage trois scénarios possibles pour l’avenir. On peut craindre le premier, rêver au second, le troisième se situant bien entendu entre les deux autres (c’est la loi du genre). En déclinant les forces et les faiblesses de la profession, M. Schöpfel fait apparaître ce qu’il faudrait changer. Une grande partie dépend de nous et de personne d’autre :
- passer d’une logique de collection de livres vers une logique d’accès à l’information
- compétences transversales, gestion prévisionnelle des compétences et métiers, un salaire qu’on ne saura traiter d’excessif, un quart des postes précaire.
- compétences juridiques et de management à accroitre
- chiffrer la valeur apportée par la bibliothèque et sa contribution au retour sur investissement
- rendre le lobbying politique (plus) efficace : on a parfois l’impression que nos associations prêchent dans le désert. Quand feront-elles appel à des lobbyistes professionnels pour œuvrer efficacement là où se prennent vraiment les décisions? Les ONG savent se faire entendre, prenons modèle sur elles!
Et de conclure :
L’avenir du bibliothécaire passera peut-être par une prise au sérieux de cette culture d’information sans (de)considérer le citoyen lambda comme désemparé, perdu ou incompétent.
Nous sommes comme Jules César devant le Rubicon : oserons-nous le franchir, ou resterons-nous calfeutrés parmi nos livres à nous lamenter? César a agi malgré les risques. C’est en restant immobiles que les bibliothèques vont se retrouver ballottées par un environnement sur lequel elles n’ont pas de prise. Or cet environnement n’est pas favorable : le premier scénario peut très bien se réaliser, et nous en serons seuls responsables.
« Les bibliothèques, une force pour le changement » était le thème du congrès de l’IFLA 2011 à Sant Jose (Puerto Rico). Espérons que ce ne soit pas un vœux pieu ni une simple vitrine. En tout cas, Silvère Mercier en est revenu enthousiasmé. Une autre biblio-économie serait-elle possible?