Les propos suivants ne sont pas ceux d’un collégien, ni même d’un complotiste patenté (il est plutôt censé lutter contre les idées qu’ils colportent) :
« On peut répéter à l’envi des choses fausses, considérer, que si c’est écrit dans le journal c’est que c’est vrai ; mais moi, à l’école, on m’a appris à ne pas croire ce qu’il y a dans les journaux ni dans les livres, […] Moi, ce qu’il y a dans les articles de presse, par principe je ne le crois pas. Parce que je suis un esprit libre et indépendant, et que j’entends le demeurer. C’est peut-être dans L’Observateur ou Le Petit Bessin […], mais moi je n’y crois pas, par nature et par essence. »
Ce sont les propos du Ministre le l’Intérieur, M. Cazeneuve, à l’Assemblée Nationale, en réponse à une députée! Or force est de constater qu’au-delà de l’aspect provocateur des paroles, le ministre n’a pas tout à fait tort : Internet n’a pas l’exclusivité du bidonnage. On trouve des exemples tant dans les médias traditionnels des démocraties qu’au sein des régimes autoritaires. Je me souviens de deux exemples récents, parmi tant d’autres, relayés et démontés par « L’Autre Journal », sur France 4 :
- la vidéo iranienne antidatée de quatre ans par Fox News (USA)
- les truquages grossiers de photos satellites de Channel One (Russie)
Les médias français sont prompts à montrer les manquements des médias étrangers… surtout à partir d’analyses d’internautes plus observateurs que la moyenne. Mais il ne sont pas exempts d’erreurs du fait de leur suivisme moutonnier qui fait office de recoupement d’informations : l’ensemble des journaux TV et radio et des chaînes d’info continue ont mis près de 24h en février dernier, avant de s’apercevoir d’une méprise de l’AFP entre Martin Bouygues et un certain M. Martin, l’un étant mort, l’autre non… Et tout le monde a du, comme Fox News, faire ses excuses les jours suivants (apologizes, apologizes, apologizes…). C’est cette course à l’audience au prix d’un journalisme au rabais que dénonce, en l’amplifiant (à peine), Umberto Eco dans son dernier roman, Numéro zéro (Grasset 2015, 224 p.):
Le sémiologue et lauréat du prix Alphonse-Allais 2015 épingle également sans vergogne les mauvaises pratiques des journalistes de base, allant des poncifs mal utilisés aux obscures techniques d’influence pratiquées. De plus, selon lui, « la théorie du complot est une maladie très répandue » dans le monde moderne où la surabondance médiatique annihile le bon sens.
Que ce soit suite à des erreurs plus ou moins grosses ou à de basses fins de propagande, l’histoire des médias est émaillée de scandales où l’intérêt du lecteur est souvent passé au second plan, depuis les premières gazettes pilotées par Richelieux au XVIIe siècle, jusqu’aux chaines d’info continue actuelles.
L’ancien directeur de la BnF et actuel responsable de l’émission Concordance des temps sur France Culture, Jean-Noël Jeanneney, a bien montré dans son ouvrage Une histoire des médias (Points 2015, 464 p.) que la confiance des Européens a été trahie plus d’une fois par leurs médias, en particulier en temps de guerres (Radio Paris ment, Radio Paris ment…), ce qui a laissé des séquelles dans l’imaginaire collectif, dont celui du ministre de l’intérieur.
Mais Bernard Cazeneuve a dû être un mauvais élève, car ce qu’on enseigne à l’école, notamment dans le cadre de « la presse à l’école », ce n’est pas à ne pas croire la presse, mais à ne pas la croire sur parole, à exercer un esprit critique :
Le corollaire de cet esprit critique, c’est que si ce qui figure « dans le journal » est étayé, argumenté, sérieux […], il faut non seulement le croire, mais s’en emparer en tant que citoyen. La presse doit devenir, dès lors, l’arme des citoyens : je croyais que c’était le message du 11 Janvier…
Monsieur Cazeneuve semble avoir un problème avec la liberté d’expression (cf la censure des messages hostiles sur le Facebook consacré à la loi sur le renseignement). Or ce que certains appellent le quatrième pouvoir nous apprend qu’il ne faut jamais prendre pour argent comptant non plus ce qui se dit de vive voix, en particulier quand il s’agit de personnes en responsabilités : c’est même pour cela que le fact checking a été inventé… grâce à Internet! Et bien avant le fact-checking, faut-il rappeler à M. le ministre les mensonges de l’Etat du type Rainbow warrior, sang contaminé ou Tchernobyl (le fameux nuage radioactif qui savait reconnaître une frontière)?
Tchernobyl journal TF1 1986 par Jimmy130
Clearstream, affaire Bettencour, affaire Karachi, HSBC, Swissleaks, LuxLeaks, Société générale, l’industrie du Tabac, la fraude fiscale, Monsanto… Depuis Voltaire, l’ancêtre avec Calas, et Zola avec Dreyfus, les journalistes d’investigation sont les seuls vrais journalistes et ce sont eux qui rendent les médias fiables, indépendamment du support, que ce soit dans le Canard enchaîné (exclusivement papier), Médiapart (en ligne uniquement) ou Pièces à conviction et Cash investigation (multisupports).
A ne pas confondre avec les concierges de l’information, là aussi quelque soit le support :
Un journaliste, ça n’enquête pas. Ça donne son avis, ça réagi à l’émotion… les Français veulent savoir qu’on n’a rien de plus intelligent à dire qu’eux (2’44)
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Lisez aussi :
Tout le dossier :
- Complots, no go zones et paréidolies
- Madame, on n’a pas trouvé sur Internet
- Les médias traditionnels plus fiables qu’Internet?
- Où va la presse?
- Et si c’était la vérité ?
- La démocratie des crédules
- Faut-il toujours chercher la certitude ?
<MAJ du 19 juin : une pétition contre le secret des affaires>
Le secret des affaires, abandonné en France dans la loi sur le renseignement, pourrait revenir par la porte européenne
« Pour les auteurs de la pétition, le secret des affaires a certes pour but d’éviter l’espionnage industriel mais il va surtout entraver le travail des journalistes. Impossible désormais d’enquêter sur les grandes entreprises, sur les banques, sur les laboratoires pharmaceutiques… Impossible de se procurer des documents confidentiels sous peine de risquer de fortes amendes voire une peine d’emprisonnement…[…]
« Résultat, certaines enquêtes ne pourraient pas voir le jour. « Avec le secret des affaires, on n’aurait pas pu enquêter sur le lobby du tabac dans Cash Investigation » explique Elise Lucet de France 2, qui a lancé la pétition. « On avait obtenu 650 pages de documents exclusifs sur Philip Morris. On ne pourrait pas les montrer à l’antenne, parce que Philip Morris pourrait nous attaquer. »
« Chacun doit prendre conscience que tous les citoyens sont concernés » renchérit Fabrice Arfi. « Ce n’est pas un réflexe de journalistes pour journaliste, c’est un choix de société. Est-ce qu’on veut que la presse soit le relais plus ou moins complaisant des communiqués de presse ? Ou est-ce qu’on veut que la presse puisse révéler des informations que le public ne connaissait pas ? »
Déjà 300.000 signatures pour la pétition d’Elise Lucet sur le « secret des affaires » – France Info, 16 juin 2015
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<MAJ du 01 juillet 2015 : l’esprit critique au delà du 20h>
Même les chaines sérieuses diffusent parfois des documentaires… pas très sérieux. L’esprit critique est un sport qui se pratique sans interruption :
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