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Le point Godwin : Mein Kampf

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Mein Kampf. Quand une discussion de bibliothécaires sur Facebook tourne autour de la liberté d’expression, immanquablement, l’ouvrage-programme d’Hitler arrive sur le tapis : le point Godwin est atteint.

Superbenjamin / Wikicommons

En ces temps de débats intenses sur le sujet après la tuerie de Charlie Hebdo, Uju Bib, sympathique trublion du net qui aime lancer des débats farfelus (“le jeudi, c’est #‎trolldi‬”, auparavant c’était le vendredi  😉 ) a commencé jeudi dernier la discussion par la fin. Il a posté une jolie photo du livre si controversé, provenant d’un article d’Actualitté, et flanqué du statut “pour alimenter le moulin…” :

www.actualitte.com : Le débat fait rage Outre-Manche, à un an de l’échéance où le manifeste du futur Führer tombera dans le domaine public, en 2016, faut-il interdire l’ouvrage?

Au lieu de traiter de troll celui qui a sali le tapis de Facebook avec Mein Kampf, les participants ont su garder une attitude de professionnels. Cependant, il est apparu que de nombreuses personnes croient que ce livre reflétant et rappelant “les pires moments de notre histoire” (autre expression permettant de gagner des points Godwin) est interdit à cause de son contenu extrême et tombe sous le coup de la loi. Un véritable gestionnaire de l’information a pourtant les moyens de démêler le vrai du faux.

Troll mode ‘on’ pink.png
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On a coutume de dire que le racisme et un tas d’autres choses peu reluisantes sont interdits par la loi. Soyons un peu plus précis. Dès 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui reconnaissait la liberté d’expression en fixait également les limites :

Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

(Merci France Info 🙂 )

La loi en question aujourd’hui est celle sur la liberté de la presse (1881). Cette loi a été complétée, modifiée, amendée, transformée au fil du temps par une série d’autres lois parmi lesquelles :

(Merci Wikipedia 🙂 )

Ce n’est pas le racisme qui est un délit, mais la provocation publique à la haine raciale :

Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, article 24 (extrait) :

Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende
[…]
Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.

(Merci Legifrance 😉 )

Je vous laisse le soin d’aller voir par vous même l’article 23 dont il est question, pour une fois, je vais essayer de faire un billet pas trop long – lol.

J’ai juste une question : Si la loi permet de faire la différence entre un Luz et un Dieudonné, comment punir de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende quelqu’un comme l’auteur de Mein Kampf, qui est mort? La peine s’applique-t-elle également aux personnes qui diffuseraient son livre?

Il se trouve qu’un autre texte de loi (de jurisprudence pour être exact) est spécialement dédié à Mein Kampf, comme nous l’apprend le Figaro :

La législation française n’interdit aucunement la commercialisation de Mein Kampf, depuis un arrêt de 1979 rendu par la cour d’appel de Paris. Saisie par des associations antiracistes qui souhaitaient faire interdire l’ouvrage, la cour avait tranché en autorisant la vente, au motif qu’il s’agit d’un «document indispensable pour la connaissance de l’histoire contemporaine». Sous réserve, cependant, que toute publication soit assortie d’un texte d’avertissement présentant le contexte historique et rappelant les crimes commis au nom de cette doctrine.

(Google est mon ami 😀 )

Puisque le livre est autorisé à la vente, alors, il peut légalement se trouver dans les rayonnages d’une bibliothèque publique. Pour autant, chaque bibliothèque a une politique documentaire et peut décider de l’acquérir… ou pas. De même, les libraires ont le choix de proposer ce qu’ils veulent, comme plusieurs l’ont montré à la sortie du livre de Mme T.

Un libraire est libre du choix de ce qu’il propose à la vente (cliquez pour agrandir).

Le livre, interdit de réédition et de vente depuis 70 ans par le Land de Bavière, propriétaire des droits d’auteur en Allemagne, est néanmoins autorisé, traduit et imprimé en France (Les Nouvelles éditions latines depuis 1934), en Suisse ou encore en Turquie.

Quand le livre tombera dans le domaine public (au premier janvier 2016) et que les éditeurs historiques des différents pays n’auront plus l’exclusivité, il reviendra encore à la bibliothèque qui aurait décidé d’acquérir l’ouvrage de déterminer quelle édition choisir. Ainsi, pour la France, une version enrichie de documents et explications serait en préparation chez Fayard. L’éditeur suit en cela l’exemple du Land de Bavière, qui prépare une édition commentée par l’Institut d’Histoire contemporaine de Munich.

Pour conclure, il y bien certains exemplaires de Mein Kampf qui tombent sous le coup de la loi : la plupart des versions en ligne qu’on peut trouver en trois clics enfreignent le droit d’auteur, au même titre que la saison 4 de Game of thrones, la saison 8 de Doctor who, ou les Pdf de Charlie Hebdo : on ne peut donc pas les proposer dans une bibliothèque 😉 … du moins pas avant 2016!

Tout devient plus facile quand on a les bonnes infos… Merci Internet! 😛 

Lisez aussi :

<MAJ du 11 novembre 2015 : La marche de l’histoire>

L’arrivée prochaine de Mein Kampf dans le domaine public est l’occasion pour France Inter de faire le point :

« Mein kampf » dans le domaine public – La marche de l’histoire par Jean Lebrun, France Inter, lundi 9 novembre 2015

</maj>

<MAJ du 8 juin 2017 : Quoi de neuf depuis le 1er janvier 2016?>

Une édition scientifique était prévue par le Land de Bavière pour le passage dans le domaine public. Elle a été abandonnée, avant que L’Institut d’histoire contemporaine de Munich ne reprenne le flambeau. Depuis sa publication le 8 janvier 2016, l’ouvrage s’est écoulé à 85 000 exemplaires, avec ses 2000 pages de commentaires.

En France, le même projet était dans les cartons chez Hachette (Fayard). Avec Google on trouve surtout des annonces passées de publication future. Reste qu’il est introuvable sur le site de Fayard. Idem chez Hachette.

Et pour cause. En fait, il n’est pas encore sorti, plus d’un an après la date prévue. On annonce maintenant une sortie pour 2018. Plus que l’appareil critique, c’est la traduction elle-même qui semble poser problème. De son côté, l’Institut d’histoire contemporaine de Munich envisagerait de réaliser une traduction Française de son propre travail (information de Sputnik, donc à prendre avec des pincettes).

Ceci dit, pour les plus impatients, il y a toujours la vieille version des Nouvelles Editions Latines avec son avertissement de 8 pages, celle-là même qui est à l’origine du fameux arrêt du 11 juillet 1979 de la cour d’appel de Paris. Il s’en écoule chaque année environ 3000 exemplaires, tout à fait légalement. Ces exemplaires-là sont donc prêtables dans l’absolu. Les établissement peuvent décider de le faire ou non, en prêt direct ou indirect ou en consultation sur place, notamment dans le cadre de leur politique documentaire.

L’édition scientifique de l’IFZ, 2000 pages, une couverture sobre. En France, il faudra encore attendre, alors que tout un chacun peut désormais faire sa petite édition de Mein Kampf comme il veut, avec les commentaires qu’il veut, depuis que le livre est tombé dans le domaine public. Cela revient à laisser le champs libre aux Zemmour-Soral-Dieudonné et à leurs fans.

</maj>

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