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Incendie à Corbeil-Essonnes : Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?

Les médiathèques sont à nouveau sur le devant de la scène aujourd’hui, et contrairement à Tous à Poil, ce sont les professionnels qui sont « profondément choqués » cette fois. Je trouve l’article d’Archimag bien timide (« un incendie provoqué par un feu de voiture »). L’AFP est plus affirmative :

« Pour les enquêteurs, l’origine criminelle des incendies ne fait aucun doute: les deux bâtiments, situés à 500 mètres l’un de l’autre, ont été attaqués à un quart d’heure d’intervalle, entre 1H20 et 1H35, à l’aide de deux voitures béliers enflammées. »

L’école était neuve (5,5 millions d’euros de travaux), quand à la médiathèque, elle avait déjà été incendiée en 2012.

Pour une source policière, «les voitures béliers, c’est un classique de Corbeil».
En 2005, un McDonald’s de la ville avait été détruit par un incendie après avoir été atteint par une voiture bélier. En 2008, un local associatif avait été incendié selon le même procédé.
En 2012, un centre de protection maternelle et infantile (PMI) et la médiathèque avaient été incendiés à une semaine d’intervalle.

Voiture-belier-corbeil
Un incendie déclenché par une voiture-bélier lancée contre l’entrée de la médiathèque peut-il avoir une origine autre que criminelle?

Ce n’est pas comme si c’était la première fois : le sociologue Denis Merklen a répertorié 70 bibliothèques qui ont été incendiées en France entre 1996 et 2013. Il n’y a pas de prééminence dans une région particulière : on en recense en Ile-de-France mais également à Brest, à Lyon, à Marseille, à Grenoble… C’est une forme de conflit spécifique aux grands ensembles, selon l’auteur de Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?

A en croire Victor Hugo,  on brûlait déjà des bibliothèques au XIXe siècle, et la perte reste la même de nos jours :

Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
– Oui.
J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
[…]
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
[…]
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
– Je ne sais pas lire.

Victor Hugo, A qui la faute?

« Je ne sais pas lire ». L’explication de Victor Hugo aux incendies de bibliothèques était peut-être valable au XIXe. Au XXe, alors que l’école obligatoire a mené l’alphabétisation en France à près de 100% (à ne pas confondre avec l’illettrisme), les causes analysées par Denis Merklen sont plus complexes :

La présente enquête a notamment amené l’auteur à s’intéresser au rapport des populations à l’écrit. Il a ainsi pu rapidement constater que « (sa) place était au centre des révoltes, aussi bien en tant que mode de communication que comme enjeu politique et social ». « Les exclus de l’école et de l’emploi se sentent menacés par ceux qui assoient leur pouvoir sur la maîtrise de l’écrit », relève ainsi le sociologue.

la bibliothèque est associée, avec l’école, à la culture de l’écrit, principal levier de promotion et de réussite sociales. Pour ceux qui ont joué le jeu sans rien recevoir en échange (par exemple, avoir terminé ses études et rester au chômage ensuite), ou pour ceux qui ont quitté très tôt le circuit scolaire, la bibliothèque est associée à ces institutions qui promettent beaucoup sans tenir parole, ou à celles qui excluent les individus et les empêchent d’accéder à de meilleures conditions de vie.

« Ils mettent des bibliothèques pour nous endormir – déclare l’un d’entre eux – pour qu’on reste dans son coin, tranquilles, à lire. Ce que les jeunes veulent c’est du travail. La réponse, c’est : « Cultivez-vous et restez dans vos coins ». On t’impose un truc ! »

Titre du livre : Pourquoi brule-t-on des bibliothèques ?
Auteur : Denis Merklen
Éditeur : Presses de l’Enssib
Support : numérique
Format : pdf
ISBN : 979-10-91281-20-1
Pages : 351
Ouvrage disponible
Prix : 23,40 €
Support : broché
Format : 15 x 23 cm
ISBN : 979-10-91281-14-0
Pages : 349 Ouvrage disponible
Prix : 39,00 €

Lisez en accès libre :

D’autres articles à propos de Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ? :

Si, d’un côté, la bibliothèque est perçue comme « une chance pour le quartier », comme une forme d’accès à la culture, comme un investissement prestigieux, comme un espace ouvert à tous et apprécié de beaucoup, d’un autre côté, « l’attaque de la bibliothèque vient signifier tout l’arbitraire de cette “intervention” de l’État, et d’un autre groupe social, dans “notre espace” du quartier. »

Soutient aux personnels de Corbeil et aux habitants des Tarterêts.

1 commentaire pour “Incendie à Corbeil-Essonnes : Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?”

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