L’édition de l’an dernier était centrée sur les DRM dans les ebooks. Le thème cette année est le web. En effet, voila que le W3C envisage d’intégrer des DRM dans le web, via un dispositif technique appelé EME (extensions pour médias chiffrés), que les industries du divertissement poussent à intégrer dans la norme HTML5.
Tout cela vous semble technique et pas digne d’intérêt au delà du cercle des geeks? Oubliez les termes techniques et imaginez seulement que ces restrictions qui vous empêchent de copier vos musiques au delà d’un certain nombre de fois soient appliquées à Internet : vous aurez déjà payé une fois pour visualiser un film, une musique, un livre ou tout autre contenu en streaming, la page correspondante vous sera désormais interdite, à moins de payer à nouveau pour voir. C’est cela qui nous pend au nez. Voila pourquoi il est important que la pétition lancée par la FSF, « Dites au W3C : nous ne voulons pas d’un Hollyweb », recueille un succès maximum. L’objectif est de 50000 signatures pour le 3 mai : il ne reste plus que quelques jours. Pour signer la pétition, rendez-vous sur le site Defective By Design.
DRM?
La gestion numérique des droits (GND), ou gestion des droits numériques (GDN), en anglais digital rights management (DRM), ou encore les mesures techniques de protection (MTP), ont pour objectif de contrôler l’utilisation qui est faite des œuvres numériques. Ces dispositifs peuvent s’appliquer à tous types de supports numériques physiques (disques, DVD, Blu-ray, logiciels, etc.) ou de transmission (télédiffusion, services Internet, etc.) grâce à un système d’accès conditionnel.
Ces dispositifs techniques ou logiciels peuvent viser à :
- restreindre la lecture du support à une zone géographique prévue (par exemple les zones des DVD) ;
- restreindre la lecture du support à du matériel spécifique (par exemple les versions smartphone ou tablette) ;
- restreindre la lecture du support à un constructeur ou vendeur (afin de bloquer la concurrence) ;
- restreindre ou empêcher la copie privée du support (transfert vers un appareil externe) ;
- restreindre ou verrouiller certaines fonctions de lecture du support (désactivation de l’avance rapide sur certains passages d’un DVD) ;
- identifier et tatouer numériquement toute œuvre et tout équipement de lecture ou enregistrement (pour faciliter le pistage des copies non autorisées, mais surtout empêcher la personnalisation et donc le contrôle d’une technologie, par exemple empêcher l’installation d’un autre système d’exploitation sur un ordinateur).
Il y a donc une différence importante entre l’objectif affiché — le contrôle des copies — et les conséquences des moyens utilisés — un contrôle de plus en plus fin et complet des usages. Ces contrôles présentent donc de multiples dangers :
- un danger technique, car les DRM sont intrusifs. Leur fonctionnement, lié à un format fermé et propriétaire, menace la pérennité des œuvres numériques. Leur opacité conduit également à affaiblir le niveau de sécurité des systèmes;
- un danger économique, car ils favorisent la constitution de monopoles dans le cadre desquels on constate des abus de position dominante et le développement de la vente liée. Ils perturbent également le marché de l’occasion et sont particulièrement coûteux ;
- un danger sociétal, car ils induisent la perte de contrôle par l’utilisateur de son propre équipement et de ses données personnelles, menacent le domaine public, interdisent des usages légaux ;
- un danger culturel, car ils déséquilibrent le droit d’auteur, dépossédant les auteurs de leurs droits sur leurs œuvres au profit des éditeurs de DRM, empêchant ou limitant divers actes créatifs (citation, remix, etc.) et opposant le public aux œuvres et donc aux auteurs via une expérience utilisateur désastreuse ;
- un danger patrimonial, car les DRM font courir des risques à la conservation des œuvres numériques pour les générations futures.
Pour en savoir plus sur les DRM : vous pouvez lire la synthèse de l’APRIL sur les DRM et dispositifs de contrôle d’usage (10 pages en version pdf).
En complément de la pétitions, 27 organisations, attachées à un un seul web partout et pour tous (la maxime originelle du W3C!) et à l’accès universel à la connaissance, ont envoyé une lettre à l’organisme chargé de veiller sur le devenir du Web, et donc entre autres à son langage principal, le HTML : le World Wide Web Consortium (W3C). Voici le début de la traduction française :
Gardez les menottes numériques hors des standards du Web – Refusez le projet des extensions pour médias chiffrés.
Cher Monsieur Berners-Lee [*].
Nous écrivons pour supplier le comité du World Wide Web ainsi que ses organisations participantes à rejeter la proposition EME (extensions pour médias chiffrés). En tant qu’associations majeures pour la défense des libertés numériques et d’Internet, nous nous joignons aux plus de douze mille utilisateurs du Web qui ont déjà signé la pétition Dites au W3C : nous ne voulons pas d’un Hollyweb contre l’EME. Cette proposition désastreuse changerait le HTML, le langage derrière le Web, pour l’adapter de façon à ce qu’il favorise les menottes numériques (DRM). EME est sponsorisé par une poignée d’entreprises puissantes qui sont membres du W3C, comme Microsoft et Netflix. Ces entreprises font la promotion des DRM, aussi bien pour des raisons qui leur sont propres que pour les liens étroits qu’ils entretiennent avec des entreprises de médias les plus importantes. Les DRM restreignent les libertés publiques, au delà même de ce que les lois les plus extrêmes portant sur le droit d’auteur exigent, au bénéfice perçu de ces quelques privilégiés.
Le travail du W3C est crucial pour assurer l’intégrité et l’interopérabilité continues du réseau global. Nous reconnaissons la nécessité pour le W3C de répondre à l’évolution du paysage du Web et de réconcilier les intérêts de groupes multiples. Mais ratifier l’EME serait renoncer à ses responsabilités. Cela nuirait à l’interopérabilité, entérinerait l’intégration de logiciels non-libres au sein des standards du Web et pérenniserait des modèles économiques oppressants. Cela serait un affront aux principes énoncés par le W3C comme étant au cœur de leur mission, et causerait toute une série de problèmes pour les milliards de personnes qui utilisent le Web. […]
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* Tim Berners-Lee est considéré comme le père du Web. Contre toute attente, il soutiendrait les EME.
A votre avis, les bibliothécaires, dont une des principales missions est d’offrir un accès le plus large possible à la culture et à la connaissance, doivent-ils se mobiliser sur des sujets aussi techniques que l’HTML5 et les extensions pour médias chiffrés?