Onze ans après l’étude de Lucile Sarazin, on mesure le chemin parcouru, et la situation de 2000 pourrait prêter à rire… quoique. Certaines bibliothèques en sont encore à mendier des postes dans des circonstances précises. J’ai failli tomber de ma chaise en lisant le mail suivant qui ne date pas d’il y a dix ans, mais de cette semaine :
Sujet: Prêt portable récolement
Date : Fri, 14 Oct 2011
Pour : discothecaires_fr@listes.ircam.frBonjour,
Je fais appel à la liste car dans l’optique d’un récolement prévu en janvier, nous aurions besoin d’un/de portable(s). Nous utilisons la version CS2 du logiciel Paprika (Decalog). Après avoir essayé de contacter le club des utilisateurs sans succès (si quelqu’un a leurs nouvelles coordonnées, ça nous intéresse aussi), je me tourne vers les médiathèque environnantes, afin de savoir s’il serait possible de nous prêter ce matériel, et à quelles conditions.
Le récolement doit avoir lieu du 16 au 21 janvier inclus. Il s’agit de la médiathèque de Claye-Souilly (77410), au nord de la Seine-et-Marne, à proximité de la Seine-Saint-Denis.Merci de votre attention,
xxx, Médiathèque de l’Orangerie
Si la question du nombre de postes professionnels connectés se pose encore dans des cas exceptionnels, ce qu’on peut y faire est le plus problématique :
Car cette campagne arrive en plus à un moment ou notre DSI vient de décider de façon unilatérale de couper les accès à Facebook, Youtube, Myspace,… à nous (c’est pas grave, on ira à la Fnac écouter les CD qu’on souhaiterait acquérir pour nos collections) mais aussi à nos usagers ! Nan mais c’est pas grave non plus, tout le monde sait que les usagers quand ils viennent à la bibliothèque c’est pour chercher des documents pour faire des exposés pas pour se connecter à Facebook, ou jouer à des jeux, ou regarder des vidéos !
http://sophiebib.blogspot.com/2011/06/le-bibliothecaire-cet-etre-pur.html
Cette situation n’est malheureusement pas isolée. Contrairement au mail ci-dessus, je n’ai pas été surpris par le billet de la Desperate Librarian. Ainsi lors d’une formation de bibliothécaires dans des locaux du Conseil Général d’Ille-et-Vilaine, j’ai pu constater qu’Internet y est énormément bridé. Que les administratifs du CG n’aient pas besoin, pour leur travail, de Dailymotion ou des fonctionnalités un peu innovantes de type Pearltrees ou Google Reader peut se comprendre (encore que la veille ne se limite pas aux métiers des bibliothèques). Mais qu’en est-il des personnels de la médiathèque départementale ? Leurs besoins ne sont absolument pas pris en compte par les DSI (Directeurs des systèmes d’Information).
Les bibliothécaires hybrides ont donc non seulement à convaincre les collègues, la direction et les tutelles, mais une fois ceci fait, il faut encore pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Par exemple, comment porter la bibliothèque dans les endroits où sont les internautes, comme en réalisant une page Facebook dédiée à la bibliothèque ou à un événement s’y déroulant, quand l’accès à Facebook est interdit : “En vertu de la charte d’utilisation de l’internet, l’accès à ce site n’est pas autorisé” ? Les bibliothécaires de la médiathèque 35 ont déjà mainte fois porté leurs doléances à leur service informatique, sans succès. Néanmoins, lors de cette formation intitulée “Quels outils au service de la médiation numérique” (!) et animée par Renaud Aïoutz, un responsable informatique du CG était présent. Il a ainsi pu mesurer les besoins spécifiques du service de la médiathèque départementale. On peut donc espérer que les choses vont s’améliorer.
Lorsque j’ai évoqué ce souvenir avec mon collègue et responsable informatique à La Poste, il a préconisé des ordinateurs reliés à Internet sans restriction, mais déconnectés du SI (système d’information) du conseil général, cela permettant à moindre frais de se prémunir de toute intrusion extérieure. C’est une solution qui a été largement adoptée dans les petites structures, où un dynamique geek et ancien emploi jeune a installé le réseau d’ordinateurs pour les usagers, indépendamment du réseau de la mairie. Néanmoins, pour le personnel des structures plus grosses comme le conseil général, cela implique de changer de poste selon la tâche qu’on effectue : retour dix ans en arrière quand l’ordinateur connecté était sous clé dans le bureau du directeur.
Rennes Métropole a adopté le système inverse : les ordinateurs réservés aux usagers sont un sous-réseau du réseau général. Résultat : ces postes sont extrêmement bridés, dans l’ensemble des antennes comme dans la centrale. Si on peut aller à peu près partout sur Internet, l’accès se fait par un navigateur maison. Sans accès au Bureau, il n’est ainsi pas possible d’écrire sur le disque dur, ce qui veut dire qu’on ne peut pas utiliser un traitement de texte pour prendre des notes, par exemple. Si l’usage de la clé USB est toléré, celle-ci ne peut servir qu’à sauvegarder des pages Web entières, ou éventuellement à joindre un document à un mail (PJ), mais sans possibilité de le modifier sur place. Les logiciels portables USB y sont évidemment inopérants.
Le téléchargement et l’enregistrement de données sur disque dur ou disquette ne sont pas autorisés pour des raisons techniques liées à la gestion du réseau.
Extrait de la charte d’utilisation d’internet de la bibliothèque
Prenons l’exemple de la recherche d’emploi : pour copier une offre de Pôle Emploi, il faut donc enregistrer toute la page du site. Si on veut répondre à une offre, le CV et la lettre doivent avoir été préparés à la virgule près avant de venir (ce qui suppose d’avoir accès à un ordinateur dans son entourage). Conclusion, on regarde Internet sur ces postes comme on regarderait la télévision. On est loin des usages possibles à la BML (Lyon). Heureusement il reste le Wifi dans la centrale, mais là encore, cela suppose d’avoir un ordinateur qu’on peut emmener avec soi. Au moins les professionnels ont-ils un accès satisfaisant avec ce système, car eux ont accès à leur disque dur (j’avais même tenté d’aller sur MySpace avec succès).
La solution la plus satisfaisante à mon sens est celle des petites structures : deux réseaux distincts pour les postes en libre accès d’une part, et pour le personnel d’autre part, indépendamment du réseau de la structure hôte (la mairie).
A Elven, on trouve ainsi :
- deux postes Internet pour les usagers sur place, en complément de la cybercommune (dix postes) à cent mètres de la bibliothèque (installation de logiciels impossible pour les utilisateurs, mais large choix proposé par l’animateur, jeux compris).
- un poste pour le SIGB et un autre pour Internet, tous deux sur la banque de prêt.
A l’Hermitage, c’est plus élaboré :
- Un poste dans les murs en plus de la dizaine de postes de la cybercommune (dont un sous Ubuntu et un sous Mac OS) abritée dans une pièce à part dans le même bâtiment,
- Un poste dédié à l’OPAC pour les lecteurs,
- Quatre postes tous connectés à Internet et reliés au SIGB pour le personnel : Deux sur la banque de prêt et deux dans le bureau, ces deux derniers faisant en outre office respectivement de serveur de documents et de serveur d’impression. Un cinquième poste héberge le serveur pour le SIGB. Cela permet de travailler sur les documents informatiques et de lancer des impressions sur tous les postes, y compris depuis l’accueil. Les deux titulaires ont chacun leur Thunderbird pour accéder à la messagerie (un système amélioré par mes soins). Outlook a été installé sur un des postes pour communiquer avec les lecteurs ayant un compte dans le SIGB (Le SIGB ne voulait pas de Thunderbird).
Dans ces deux exemples, les deux réseaux de la bibliothèque sont indépendants de celui de la Mairie et entre eux (limitation du risque d’intrusion), le Wifi est possible mais pas encouragé (je ne suis jamais parvenu à savoir pourquoi), et Internet n’est bridé nulle-part (décision la plus sage). S’il est bon que les réseaux informatiques de la bibliothèque et de la cybercommune soient indépendants, on peut s’interroger sur le fait que les deux structures le soient aussi. A Pacé, Vezin-le-Coquet ou Vern-sur-Seiche par exemple, la bibliothèque a fini par intégrer l’espace cybercommune. Cela ne peut que faciliter les synergies.
Le présent article a été écrit alors que sévissait la panne monumentale des Blackberry durant quatre jours, mettant en situation de manque un grand nombre de cadres. Or les smartphones ne sont mentionnés nulle-part ici. De plus, si le prêt de tablettes et/ou de liseuses aux usagers existe ponctuellement, il n’en est pas du tout question pour le personnel. Dans 10 ans, l’état des lieux actuel prêtera sans doute à rire au même titre que la situation décrite dans le mémoire d’études de Lucile SARAZIN. Remplacez Web/réseau/Internet par “tablettes” dans cet extrait :
parmi ces dix-sept sites, deux n’ont pas d’ordinateur connecté au réseau à usage du personnel : cela signifie que l’équipe ne peut avoir accès à Internet qu’en dehors des heures d’ouverture au public. Il est nécessaire de noter que cette situation, d’une part, n’aide pas le personnel à se former à l’utilisation de ce nouvel outil (notamment pour aider les lecteurs eux-mêmes) et, d’autre part, nie totalement les usages professionnels du Web pour les bibliothécaires.
Et chez vous, comment s’articulent les accès à Internet dans votre structure? Êtes-vous limités dans votre travail quotidien par un Internet restreint? Ou inversement le fait d’avoir Internet sans limitation vous pose-t-il problème? Quel est votre approche d’Internet avec vos bénévoles (si vous en avez)? Y a-il d’autres accès Internet possibles sur votre commune? Parmi eux, quelles sont vos relations avec la cybercommune, l’Espace public numérique ou leurs équivalents?
<MAJ du 02 décembre 2011 : Filtrage d’Internet : les informaticiens aussi>
Les bibliothèques ne sont pas les seules à brider Internet pour leurs personnels. Voici le témoignage d’un informaticien, pestant contre le filtrage dans son entreprise : Halte au filtrage d’Internet par les employeurs !
Outre le coût direct des systèmes de filtrage, je vois deux gros désavantages :
- on a parfois réellement besoin d’avoir accès à des sites interdits pour le boulot, notamment les sites qui permettent de faire de la “veille” et qui nécessiteraient d’écouter des poadcasts ou de trainer un peu sur dailymotion ou youtube,
- les employés deviennent has been, en ne connaissant pas ce qui se fait sur Internet.
[…] la plupart de mes collègues ignorent tout du fonctionnement de Twitter, de Facebook ou d’autres machins. En tant qu’informaticiens, ils ne savent pas les capacités techniques des applications, y compris de celles qu’ils pourraient mettre en œuvre. Ils n’ont pas la facilité d’utilisation des machins contrairement à une partie du public visé par nos applications… Ils en deviennent totalement opposés au progrès et complètement fermés au modèle “client léger” qui est maintenant complètement possible.
[…] Enfin, les braves gens qui n’ont pas envie de travailler peuvent très bien trouver une occupation sans avoir accès à “tout Internet”.
[…] Ainsi, ces filtrages sont inutiles puisqu’ils peuvent souvent être contournés et qu’ils ne sont pas directement à l’origine du fait que les employés ne font pas ce qu’ils devraient faire. Seul un management de proximité de qualité peut s’assurer de l’efficacité réelle des employés travaillant dans un bureau.
Ils sont une gène, une frustration continuelle pour certains salariés.
Il faut les supprimer.
Nicolas Jégou et moi ne nous connaissons pas, nous ne nous sommes pas concertés, et pourtant, les arguments sont exactement les mêmes. Bibliothécaires et informaticiens, même combat?
Les lecteurs ont souvent encore moins de liberté que les professionnels sur les postes informatiques, en Wifi comme en local. Si les questions des connaissances en informatique ou de la productivité des usagers se pose moins, l’accès à des sites “interdits” et pourtant utiles se pose avec la même acuité. J’en fais l’expérience quasi quotidiennement : Bref, “l’accès à cette page est interdit”.
</maj>
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