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Le cancer de l’assistanat

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Comment se fait-il , en tant qu’aspirant bibliothécaire, que je me sente concerné par la nouvelle qui suit? Laurent Wauquiez, ministre des Affaires européennes (??), vient de faire une proposition alléchante pour les gens au RSA, dont je suis (voila la réponse!) : “lutter contre le cancer de l’assistanat” en :

  1. limitant leurs aides et allocations cumulées aux trois-quarts du SMIC,
  2. leur imposant 5 heures service social.

Les trois-quarts du SMIC, cela fait environ… mon salaire chez mon dernier employeur, soit 824€ ! En effet, 26h c’est ¾ de 35h. Même si c’est seulement le quart du SMIC, je ne serais pas contre retrouver mes revenus de l’an dernier, soit 477€ de plus chaque mois.

Approfondissons. Mes APL se montent à 167€. Je n’ai pas d’allocations familiales, n’étant financièrement et matériellement pas en mesure de fonder une famille (et pour cause). Le total de mes revenus en cumulant toutes mes allocations est donc de 514€. Expliquez-moi comment je pourrais gagner plus qu’un Smicard, soit voir mes revenus augmentés de 600€ ? Le RSA étant fixe, il faut donc jouer sur les allocs. Peut-être qu’en habitant un loft en plein Paris, je pourrais espérer des APL de 767€ ? Le plafond des APL étant de 200€, c’est de la science fiction. Donc si M. Wauquiez souhaite augmenter mon RSA de 346€ à 655€ pour que j’arrive à 75% du SMIC, APL comprises, je suis encore preneur.

Pour ce RSA imaginaire, je suis même prêt à me faire passer pour un jeune condamné à une peine de 5h de travail d’intérêt général par semaine. Je pourrais ainsi effectuer ces 5h… dans une bibliothèque pour faire bénévolement mon métier en prenant moi même la place du salarié que j’aspire à y devenir? De quoi devenir schizophrène ! Pourtant je suis déjà  bénévole dans un association musicale, cela depuis 22 ans. J’y consacre un certain nombre d’heures hebdomadaires comme musicien (travail personnel, répétitions et concerts), membre du bureau et webmaster. De plus, depuis janvier, j’ai une deuxième activité chronophage et non rémunérée : la recherche d’emploi ! Au total, bien plus de 5 heures hebdomadaires. Par conséquent si le RSA devait évoluer pour récompenser les actions bénévoles, alors j’aurais droit à plus qu’un SMIC !

Soyons sérieux. Comment une famille au RSA pourrait gagner plus qu’une famille de smicards, alors que ces derniers perçoivent eux aussi APL et allocations familiales (Ces dernières sont fondues dans le RSA pour ajouter à la confusion) ? D’autre part, donner des heures de travaux de service social non rémunérés (travaux d’intérêt général?) aux gens au RSA revient à les assimiler à des délinquants : être pauvre serait donc un délit ?

La droite sociale veut-elle restaurer les systèmes passés des Workhouses anglaises, des colonies hollandaises de travail forcé, de l’interdiction suisse de la mendicité de Calvin ?

[…] L’immense majorité des allocataires du RMI et du RSA ne demande qu’une chose : en sortir, après avoir retrouvé un emploi à temps plein !

Lionel Stoléru, créateur du RMI

Le vrai cancer de ce pays, ce n’est pas “l’assistanat”, c’est que des gens qualifiés n’y trouvent pas un travail décent. Le vrai cancer, ce sont ces 4 millions de personnes qui ne demanderaient pas mieux que de gagner leur vie grâce à leur travail. Le cancer véritable, ce sont ces préjugés anti-pauvres au moins aussi nauséabonds que n’importe quel autre racisme. Il n’est que de constater la violence des commentaires de certains lecteurs sur les sites de presse qui ont relayé l’information : le pauvre est forcément un fainéant méprisable doublé d’un abruti, souvent alcoolique, systématiquement malhonnête et fraudeur, qui deale de la drogue et “qui n’a qu’à travailler”« Salauds de pauvres ! » (Marcel Aymé). Je n’ai pas besoin des mesures de M. Wauquiez pour sentir une vraie différence entre les moments où je travaille, même avec trois quarts du SMIC comme salaire, et les périodes entre deux bibliothèques. Si c’est si bien que çà d’être au RSA, avec tous les avantages en nature que cela procure, que ceux des smicards qui vilipendent les aides sociales démissionnent de leur entreprise et se mettent au RSA, ils pourront mesurer l’écart !

Parlons un peu de ces avantages en nature. Martin Hirsch (instigateur du RSA) a rassemblé de nombreuses statistiques sur le coût de la vie et fait tourner les ordinateurs du cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG). Résultat : les consommations de base – logement, alimentation, téléphonie, crédit… – sont systématiquement plus coûteuses pour les 3,5 millions de ménages français qui vivent sous le seuil de pauvreté (949 euros par mois par personne, allocations comprises), qu’elles ne le sont pour les autres catégories de la population.

Allez, direz-vous, ces gens-là vivent au-dessus de leurs moyens, ils n’ont qu’à tenir leurs comptes et ne pas céder aux tentations! « Ils se serrent déjà la ceinture, commente Martin Hirsch. Mais on pourrait aussi leur demander de ne pas se déplacer, de ne pas se nourrir eux et leurs enfants, de ne pas avoir de télé et ne pas porter de lunettes… » Céder sur la voiture ? Ce serait renoncer aux grandes surfaces de hard discount, de 20 à 30% moins cher que les commerces de proximité. « L’alimentation, pour les ménages pauvres et non motorisés, c’est un surcoût de 11% », précise Hirsch. Emprunter pour desserrer la contrainte ? Impossible d’obtenir le moindre crédit à un taux correct si vous gagnez 949 euros par mois. Quant au fameux crédit à la consommation et ses taux astronomiques, il apparaît comme la fausse solution par excellence. Un remède bien pire que le mal.

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/economie/20110510.OBS2812/pourquoi-la-vie-est-plus-chere-pour-les-pauvres.html

Savez-vous qu’un couple avec un seul SMIC peut cumuler SMIC et RSA, SMIC et CMU, voire les trois à la fois selon le nombre d’enfants? Pourquoi est-ce possible ? Peut-être parce que le SMIC lui-même est trop bas pour permettre de vivre dignement ? Que les smicards ne se fassent pas d’illusion, pour les politiques, être au SMIC ou au RSA revient au même, c’est être pauvre avec tout ce que cela sous-entend. Les riches ont le même raisonnement que celui qu’on a attribué à tort à Marie-Antoinette :  “Si le peuple n’a plus de pain, qu’il mange de la brioche.”

Ironie de l’histoire, ces deux dernières années, je coûtais plus cher à l’État en travaillant, que maintenant que je suis au RSA :

  • ¾ 823 + 167 vs 346 + 167 la première année (les trois quarts du salaire pris en charge par l’État)
  • ½ 823 + 167 vs 346 + 167 la deuxième année (la moitié…)

C’est la magie des contrats aidés ! Ne s’agirait-il pas là d’assistanat aux employeurs ?

Ne nous y trompons pas. Les propositions de M. Wauquiez sont extrêmes et ne verront pas le jour (tout de suite). La droite elle-même se montre critique. Mais la réflexion sur la réforme du RSA pilotée par Marc-Philippe Daubresse est lancée et paraîtra plus acceptable comparée aux idées de M. Wauquiez, facilitant son acceptation par les médias. C’est un scénario bien connu. Il a notamment été utilisé lors de la transformation du RMI en RSA. Ce dernier a été présenté comme une avancée pour les bénéficiaires, alors que le RSA est une plaie comparée au RMI. J’ai pu mesurer très concrètement la chute de revenus qui découlait du changement de sigle.

Néanmoins, restons vivgilants :

Dans une lettre adressée le 3 mai à Marc-Philippe Daubresse, secrétaire général adjoint de l’UMP, et que Martin Hirsch publie opportunément sur son blog, le fondateur du RSA rappelle que ce projet d’une contrepartie d’intérêt général sans salaire au RSA figurait déjà dans le programme de Nicolas Sarkozy en 2007.

En 1968,  il était de bon ton de dire que le travail était aliénant (J’arrive quand même à penser à Deleuze à deux semaines du concours!). En 2011, c’est de ne pas en avoir qui est aliénant.

http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/

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