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Soixante millions de graphistes?

A l’occasion de la prochaine tournée en Chine de mon groupe de musique, où je suis à la fois musicien et webmaster, j’ai souhaité installer un espace dédié à la préparation de ce voyage dans l’espace membres de notre site.

Pour créer un blog lié à un nouvel élément du menu, comme pour mettre sur pied un accès différencié selon que le visiteur est un membre du groupe ou l’un de nos correspondants en Chine, aucune difficulté, je gère : c’est purement technique, et le logiciel de gestion de contenu que j’ai choisi pour faire tourner tout le site simplifie grandement la tâche. Pour organiser les informations en rubriques cohérentes, de manière à en faciliter l’accès, pas de problème non plus, c’est mon cœur de métier. En revanche, quand j’ai réfléchi à une charte graphique qui évoque la Chine tout en rappelant le site du groupe, j’ai buté sur la l’élaboration de la bannière. Voici ma première tentative :

A partir de la bannière de l’espace membres…
… j’ai bricolé une bannière pour l’espace Chine. Dans la mesure où j’envisageais une charte graphique à dominante rouge, la tonique pouvait être soit le noir, soit le jaune, mais pas les deux à la fois. L’utilisation de deux typographies très différentes de taille équivalente n’est pas très heureuse non plus.

Pas très convaincant, n’est-ce pas? En tout cas, je n’étais pas satisfait. Pourtant j’avais fait comme le conseille par exemple cet article sur Dmoz, intitulé “Faire connaître son groupe de musique”. Il y est expliqué que pour élaborer un logo, créer des affiches, des flyers et pour gérer les visuels d’un site internet, il suffit de savoir manier un logiciel de traitement d’image :

De plus il existe aujourd’hui (grâce à l’internet) des logiciels, libre et gratuit, à la disposition de chacun pour laisser libre [cour] à son imagination. En effet des logiciels de traitement d’image tel que GIMP permet « assez facilement » de réaliser toutes vos fantaisies et de donner à vos idées artistiques un rendu professionnel. Vous trouverez sur la toile tous les tutoriels pour réaliser des effets de styles sur des polices (néons, effet givres etc.), mais aussi sur la gestion des calques (superposition des images) ou encore sur une impression de mouvement… Il est important de savoir manipuler ce type de logiciel, tout d’abord pour les flyers et affiche mais aussi pour la création d’image pour votre communication via l’internet !

Certes, certes. Mais ma bannière, même réalisée avec GIMP, elle ne payait pas de mine, et je ne me voyais pas la mettre en ligne en l’état. Or ce type de scrupules n’effleure pas la plupart de ces gens qui croient qu’il suffit de savoir manier quelques logiciels pour s’improviser graphiste. Le résultat, ce sont des créations dignes des Craypion :

Sur le modèle de la cérémonie des Gérard (le pire de la télévision, du cinéma, de la politique), Jean-René Craypion a lancé la cérémonie des Craypion d’Or, qui récompense les sites les plus ratés du web au niveau esthétique et/ou fonctionnel.

Honnêtement, il faudrait aussi inventer un prix pour les flyers et affiches les plus ringards. En attendant, vous pouvez déjà visiter un Tumblr dédié à ces créations d’apprentis graphistes : “Soixante millions de graphistes?” traite “de l’influence du wordart-clipart-Comic sans MS et de la démocratisation des outils de PAO sur certaines créations graphiques contemporaines en France”. Comparez ces quelques exemples :

Avec ceux-ci :

Est-il besoin de préciser quelle série est le fait de graphistes professionnels? Il ne faut pas se leurrer : une idée artistique n’aura un rendu professionnel avec un logiciel de traitement d’image, qu’à la condition que cette idée soit elle même professionnelle à l’origine. Le sous-titre du tumblr, “Aujourd’hui tout le monde peut devenir graphiste… Suffit de savoir double cliquer…” est bien entendu ironique.

Non, savoir double-cliquer ne suffit pas. Dans un précédent billet, “Sites web et bon goût”, j’expliquais que quand il y a une affiche ou des flyers à réaliser, on ne pense jamais au geek amateur. On lui préfère un graphiste professionnel… à moins que la secrétaire ne fasse l’affaire. Mais voila, la secrétaire en question n’est pas plus une véritable graphiste que le geek de service.

Si on peut être graphiste ou webmaster autodidacte, ce n’est pas en se contentant de livres sur l’informatique. Le site du Lycée Jean Perrin, gagnant du Craypion 2012 dans la catégorie “service public” est l’illustration du type de compétences qu’il aurait fallu mobiliser pour éviter de figurer dans le classement des sites les plus ratés. Il aurait suffi que trois profs collaborent pour encadrer les lycéens :

  • Le prof documentaliste pour élaborer une organisation de l’information visant à une simplicité d’accès servie par un agencement ergonomique et intuitif. Il aurait pu éventuellement être épaulé par le prof de français.
  • Le prof de techno pour les aspects… techniques, en particulier logiciels.
  • Sans oublier le prof de dessin. Les souvenirs de mes cours de dessin (jusqu’au Bac), enrichis par mes lectures ultérieures, me servent quasi quotidiennement, sans doute plus qu’une grande partie de mes cours de math, tant en photo qu’en PAO : théorie des couleurs, composition d’une oeuvre picturale, cadrage, nombre d’Or, deux tiers-un tiers, histoire de l’art, sémiotique, etc… Ces connaissances-là sont bien plus utiles aux graphistes que le fait de savoir double-cliquer. Les formes, les couleurs influencent le comportement des lecteurs. Je ne me prends pas pour un graphiste professionnel, mais il y a des limites à l’amateurisme, voire à la fumisterie!

Ces trois profs représentent les trois familles de compétences qui constituent le background culturel de l’architecte de l’information. C’est la raison pour laquelle ce dernier n’est pas obligatoirement un geek : l’aspect technique est finalement secondaire, presque accessoire : ce n’est qu’un moyen. La gestion d’un site web n’est ainsi pas réservée aux informaticiens, au contraire. Elle est bien plus littéraire (rédactionnel) et artistique (graphisme) qu’on ne pense.

J’ai donc refait une bannière. Cette fois, j’ai d’abord réfléchi à ce que je voulais obtenir et ensuite seulement j’ai lancé GIMP. Je trouve le résultat plus probant que mon premier jet. Qu’en pensez-vous?

En échantillonnant les couleurs du drapeau chinois (outil pipette), j’ai pu non seulement réaliser une bannière plus crédible, mais aussi réutiliser le rouge adéquat dans l’ensemble de la charte graphique. Le logo du bagad, blanc, n’ajoute pas de couleur supplémentaire, dans la mesure où c’est aussi la teinte du fond de page.

Quand on est une institution (musée, bibliothèque, commune, établissement d’enseignement…), soit on a les compétences en interne pour réaliser un produit à la finition (réellement) professionnelle (exposition temporaire, site web, supports de com…), soit on fait appel à de vrais professionnels. Le geek du coin ou la secrétaire ne peuvent faire l’affaire que s’ils ont de véritables compétences, mais alors il est impératif de faire reconnaître ces dernières, sinon sur la fiche de paie, au minimum sur la fiche de poste.

Quel est votre point de vue? Quand on n’a pas l’argent, comme c’est le cas de nombreuse petites structures, doit-on pour autant se contenter d’un bricolage maison (Do It Yourself, même mal), ou doit-on rechercher le professionnalisme, quitte à faire moins de choses, mais mieux? D’autre part, est-il éthique de faire appel à de vraies compétences internes si l’employeur n’est pas prêt à les reconnaître?

<MAJ du 16 avril 2013 : Formation>

Vous pensez peut-être que le documentaliste n’est pas la bonne personne pour gérer le rédactionnel d’un site web? Détrompez-vous! L’ADBS organise une formation qui entre en résonance avec le présent article :

575-13 Optimiser l’organisation visuelle de l’information sur le Web, 13 au 15 mai 2013

Objectifs :

  • Améliorer la qualité et la lisibilité des interfaces graphiques (intranet, Internet) à partir d’une approche cognitive du traitement de l’information ;
  • Optimiser, chez l’internaute, les processus de sélectivité, d’interprétation et de prises de décision ;
  • Intégrer, dans l’activité de conception, une méthodologie de traitement de l’information, fondée sur 3 logiques : une logique structurelle, une logique spatiale et une logique graphique.

C’est bien la confirmation que l’informatique n’est plus réservée aux informaticiens, mais l’outil de travail d’un grand nombre de professions. Personnellement, je ne pourrai pas me rendre à cette formation :

  1. Parce que je n’habite pas Paris
  2. Parce que le coût de la formation, même comme membre de l’association, est trop élevé pour mes finances
  3. Parce qu’à ces dates là, je serai en transit entre l’Allemagne et la Chine 😉

Tous les aiguilleurs de l’information n’ont pas vocation à endosser le rôle de webmaster. Non pas à cause des questions techniques (il y a longtemps qu’on a abandonné les fiches cartonnées, et les CMS simplifient beaucoup les choses), ou rédactionnelles (aligner sujet-verbe-complément est une base de notre métier), mais parce que nous n’avons pas tous la fibre artistique. Si on n’a pas, ou pas eu l’habitude de manier pinceaux, fusain, pastels ou autres, il y a peu de chances qu’un logiciel de traitement d’image soit d’une grande utilité. Ce dernier simplifie la tâche, mais ne remplace pas la créativité et le sens graphique.

Lisez aussi :

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<MAJ du 03 juin 2013 : Bibliothécaire et graphiste>

Savon’sBlog

Via le groupe facebook « Tu sais que tu est bibliothécaire quand….« , je viens de découvrir le blog d’Eulalie SavonSavon’s blog : « Bibliothécaire le jour, dessinatrice la nuit … Zombie la plupart du temps ». Créativité et sens graphique, voila ce qu’on trouve sur ce blog, chapeau! Eulalie porte donc les deux casquettes avec brio.

Pour les autres bibliothécaires, graphistes non professionnels, avant de jouer les apprentis sorciers, vous devriez lire « Graphisme et édition » de Geneviève Chaudoye, aux éditions du Cercle de la Librairie, où les logiciels de traitement d’image ne jouent qu’un rôle secondaire :

Présentation du métier de graphiste, profession qui a beaucoup évolué ces derniers temps avec l’émergence des outils informatiques accessibles à tous. Dans un processus où il doit répondre à une demande précise ou constituer une communication visuelle avec un récepteur défini, le design graphique doit demeurer un travail de conceptualisation où la créativité l’emporte sur l’outil.

Puis demandez-vous si vous avez les reins assez solides. Si ce n’est pas le cas, rien ne vous empêche de vous former, mais évitez de faire du mauvais Do It Yourself. C’est tout de même l’image de votre établissement qui est en jeu.

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<MAJ du 9 juillet 2013 : Situation inversée>

Sur Facebook, on m’a fait part d’une situation où c’est le graphiste professionnel qui est incompétent (par manque de mise à niveau régulière), et la bibliothécaire qui fait le meilleur travail graphique… mais sans aucune reconnaissance. La raison de cette situation étrange? Je vous laisse la découvrir :

 : […]  » C’est amusant car ici on paie une graphiste pour les plaquettes de la ville … elle fait un travail atroce de ringardise, elle réussi l’exploit de faire des affiches type publisher avec Photoshop, c’est dire. Par contre moi bibliothécaire je fais GRATUITEMENT les affiches d’un festival annuel… le coordinateur jeunesse préférant mon travail à celui de l’autre et ce depuis 4 ans (j’ai tout appris par moi-même, parce que j’aime ça et que c’est un peu ma vocation râtée)… Par contre rien n’est indiqué dans ma fiche de poste. En même temps j’en ai pas de fiche de poste. Du coup je bosse environ 40h sur la com’ de ce festival sans bien sûr un merci. J’avais même proposé de faire la com de toute la commune, parce que j’aime ça et parce que je ne supporte plus de voir qu’on dépense de l’argent public pour payer une graphiste des années 80, je ne réclamais rien de plus, juste d’élargir mon champ de compétences . On m’a répondu que ce n’était pas la vocation de la mairie de faire de la communication pro. Résultat des vaches, des cliparts en veux-tu en voilà….
 : « On m’a répondu que ce n’était pas la vocation de la mairie de faire de la communication pro. » Pourquoi payent-ils quelqu’un pour le faire (mal en plus)? Copinage?
 : exactement !

 : cette personne travaillait pour l’imprimeur avec qui ils ont une habitude. Elle a été viré. Ils l’ont pris pour faire des remplacement au secrétariat (oui oui quelqu’un sans compétences dans le domaine) et comme ils ne l’ont pas embauché ensuite, ils continuent de travailler avec elle.

[…]

Édifiant. Voir l’ensemble de la conversation : Post Facebook.

</maj>

3 commentaires sur “Soixante millions de graphistes?”

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