2014 sera l’année des bibliothèques. Mme Filippetti ne croyait pas si bien dire!
En janvier, la question des horaires d’ouverture est lancée par Bibliothèques Sans Frontière avec une pétition, « Ouvrons + les bibliothèques ! » (soirs et week-end). Cette dernière a été aussitôt contrée par une autre pétition, « Ouvrons mieux les bibliothèques« . Toute la presse en a parlé.
En Février, survenait la question d’un filtrage des acquisitions, cristallisée par l’affaire « Tous à Poils« , relayé par l’ensemble des médias, avec même des émissions radio et TV entièrement consacrées au sujet.
En mars, on attendait la nouvelle affaire. La voici! J’étais aujourd’hui à l’Antipode MJC à Rennes pour les Rencontres Nationales des Bibliothécaires Musicaux de l’ACIM. Grâce à une question d’un participant, j’ai découvert ceci : la SACD veut faire payer les heures du conte en bibliothèque !
En arrivant à la maison, j’ai découvert le bruissement généré sur les réseaux sociaux. Evidemment, tous les bibliothécaires sont ulcérés. SavoirsCom1 relaye l’info d’abord parue sur le forum de l’ABF, Agorabib dès le 13 mars :
Depuis quelques temps, la SACD, Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, demandent à des bibliothèques de déclarer les livres qu’elles utilisent pour les heures du conte. Il semblerait que cette pratique qui consiste à lire devant un public des albums ou des contes, est considérée par la loi comme une représentation publique d’une oeuvre littéraire et donc soumise à déclaration auprès de la SACD, qui percevra des droits pour les auteurs de ces oeuvres. Jusqu’à présent, cette pratique était tolérée, mais la SACD a décidé de mettre fin à cette tolérance.
Amis bibliothécaires, la SACD « détecte » les bibliothèques qui font de la pub pour les heures du conte sur leur site ou leur page Facebook.
Les lectures d’histoires à des enfants par les bibliothécaires bénéficiaient en effet d’une tolérance, tout comme c’est le cas pour les CD : en l’absence d’une loi sur le prêt, on prête ce support sans l’autorisation des ayant-droit. Ce qui n’est pas le cas pour les livres, du fait de la loi du 18 juin 2003 qui institue une licence légale relative aux prêts d’ouvrages.
Ce texte donne donc aux bibliothèques le droit de prêter des livres sans porter atteinte au droit d’auteur. En contrepartie, les éditeurs et les auteurs se voient attribuer une rémunération financée en partie par l’État et en partie par les libraires et grossistes qui fournissent les bibliothèques.
Les fonds ainsi collectés seront répartis à parts égales entre éditeurs et auteurs par une société de gestion collective, la SOFIA, et serviront également à financer un régime de retraite complémentaire pour les auteurs.
De même l’achat des CD-Roms, des DVD et des jeux pour consoles est réglementé :
Les vidéos disponibles en bibliothèque peuvent être accessibles [1]en prêt individuel à domicile, [2]en consultation sur place ou [3] en projection publique non commerciale, selon l’accord passé avec l’éditeur. Certains titres peuvent bénéficier des trois possibilités, d’autres d’une seule. Les fournisseurs rappellent toujours aux bibliothèques la nécessité de s’en tenir, titre à titre, à ce qui a été cédé, pour éviter toute rupture de l’engagement contractuel.
[…] Quant à l’offre en ligne de programmes, elle prend surtout la forme, aujourd’hui, des plateformes de VOD. Pour les bibliothèques qui souhaitent proposer cette offre, c’est encore une fois à travers une négociation contractuelle et la souscription à un service, du type de celui proposé par Arte VOD, que pourra se mettre en place une proposition à distance, destinée au public inscrit.
L’ADAV considère la projection publique de DVD comme une extension de la consultation sur place si elle respecte certains critères : gratuite, un public limité, dans l’enceinte de la bibliothèque, sans que ce soit annoncé hors les murs. Mais le site web de la bibliothèque ou son compte Facebook, est-ce considéré dans, ou hors les murs? Concernant la musique, le prêt de CD jouit d’un flou juridique. Alors que le prêt de disques date des années 60, chacune des lois sur le prêt successives (1985, 1992, 2003) les a oubliés. En revanche la consultation sur place (ou la diffusion dans les murs, ce qui est assimilé), nécessite une déclaration à la SACEM.
Concernant les lectures publiques, et tout type de spectacle vivant en bibliothèque, seuls les intervenants extérieurs étaient jusque là soumis à une redevance à la SACD, de l’ordre de 10 à 12% du prix total de la prestation. Mais comment calculer le total de la prestation quand le prestataire… est le bibliothécaire? Comment évaluer un montant sur des livres pour lesquels on a déjà rémunéré les auteurs via la SOFIA? La SACD ne dispose d’aucun mandat général pour représenter l’intégralité des auteurs. Elle ne peut agir que pour les auteurs membres de la société et n’a aucun droit en dehors de ce périmètre. J’en déduis que la SACD considère que les auteurs et illustrateurs pour la jeunesse sont des auteurs dramatiques. Alors une question me taraude : qu’en est-il des heures du conte numériques? La SACD représente-t-elle aussi les auteurs d’applis? Ces derniers sont-ils des auteurs dramatiques? A moins que la SCAM ne s’en mêle? Qu’en aurait pensé Beaumarchais? Heureusement, le site de la SACD offre la possibilité de vérifier si un auteur est membre et sera effectivement rétribué.
Les messages d’Agorabib nous apprennent encore qu’
en Belgique, des droits ont été réclamés à des bibliothèques pour les heures du contes. Pour 2 heures du contes hebdomadaires, le montant annuel était de 1600 euros ! »
Par conséquent, pour les petites structures, finies les heures du contes, mais aussi les accueils de classe, et même la participation aux activités dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires! Après la volonté de censure (affaire tous à poils), voila que les auteurs de littérature jeunesse vont devoir subir la fin de la médiation de leurs ouvrages en bibliothèque, à cause d’une organisation, la SACD, censée défendre leurs intérêts. J’aimerais bien connaître leur point de vue sur cette nouvelle polémique. Eux qui sont déjà inquiets sur les questions de revenu, de régime social et de hausse de TVA.
Bouille, un intervenant d’Agorabib s’emporte :
Si vous êtes bibliothécaire, le plus simple pour ne pas mettre en cause la responsabilité pénale de votre tutelle est encore de changer de métier.
Si vous ne voulez commettre aucune infraction au droit d’auteur, vous devrez cesser de pratiquer l’heure du conte dans votre bibliothèque, de prêter des CDs et des jeux vidéos (un accord avec les ayants-droits est nécessaire mais inexistant dans la pratique), vous devrez aussi décrocher des murs les affiches de cinémas ou les œuvres d’art dont vous n’avez pas l’autorisation écrite des ayants-droits pour en faire la représentation…
Ma position est proche de la cécité et de l’audition de Ferris : si on veut exister, il vaut mieux demander pardon que permission. Sinon, on ne fait rien… Et on n’a plus qu’à fermer boutique.
Et il a raison. C’est pourquoi SavoirCom1 demande d’inscrire dans la loi ce qui est encore dans le flou :
Cet épisode montre que ces usages ne doivent plus seulement faire l’objet de tolérances pouvant à tout moment être remises en cause par les titulaires de droits. Les usages collectifs de la culture doivent au contraire être reconnus et garantis par la loi, dans un souci d’équilibre avec le respect du droit d’auteur.
2014, année des bibliothèques disait Mme Filippetti, tout en annonçant que
La question de la modernisation des bibliothèques reste donc d’actualité. En effet, celles-ci devront probablement encore se moderniser davantage pour séduire un nouveau public, plus large, ainsi que pour familiariser à la lecture le plus grand nombre.
Avant de penser à élargir les missions et les publics, il faudrait déjà pérenniser les publics et les missions existantes, ce que SavoirsCom1 résume ainsi :
La semaine dernière, François Hollande a déclaré vouloir « se battre contre la fracture de la lecture, mais aussi pour mettre des livres dans les mains des enfants […]« . Le Ministère de la Culture a également fait de l’éducation artistique et culturelle une de ses priorités. Ces objectifs ne peuvent être atteints si les usages collectifs de la culture ne sont pas préservés.
L’EAC, le sujet central de cette journée des Rencontres Nationales des Bibliothécaires Musicaux. On y a appris qu’en haut lieu, l’EAC est constituée des arts plastiques, du spectacle vivant (musique, danse, théâtre, opéra…), voire de la culture scientifique, mais que la littérature n’en fait pas partie aux yeux des haut-fonctionnaires, au point que se pose pour les bibliothèques la légitimité à participer à ce chantier national, contrairement à l’école et aux autres acteurs culturels. Ceci expliquerait cela : 2014, année des bibliothèques à Grand-papa : le livre sur tous supports, mais rien que le livre. D’ailleurs 2013 n’était-elle pas l’année des libraires?
<MAJ du 18 mars : démenti ou rétropédalage?>
La gronde a débordé les réseaux sociaux jusque sur la presse spécialisée : Framablog, Numerama et surtout Livres Hebdo.
Puis coup de théâtre (pour la SPRD des auteurs dramatiques, c’est un minimum 😉 ), on apprend que la SACD dément et parle de rumeur. J’ai d’abord découvert un lien vers l’enssib sur un des groupes Fb qui ont relayé l’article de SavoirCom1. Le communiqué indique que la SACD a réagi sur son compte Twitter :
Nous n’avons rien changé dans notre politique sur les bibliothèques. L’accès pour tous à la culture est aussi notre combat.
C’est succinct. Un passage sur @SACDParis ne m’apporte rien de plus : le même message avec quelques variantes tout au long de la journée.
Finalement en cherchant un peu, je trouve trois articles publiés après le démenti : sur ActuaLitté, Livres Hebdo et dans Le Figaro. Ce dernier fait état d’un démenti sur le site de la SACD elle-même :
Réaction de la SACD consécutive à la polémique sur l’Heure du conte
Je retiens trois choses dans ce communiqué :
-
Cette polémique est née d’un cas isolé et particulier d’une demande de renseignements par mail sur les œuvres utilisées dans le cadre de l’Heure du conte par une bibliothèque.
Celle sur laquelle JLC posait une question sur Agorabib : ce n’était pas un petit plaisantin.
-
La SACD tient en outre à préciser que les œuvres lues dans le cadre de l’Heure du conte ne relèvent pas de son répertoire.
D’où ma question sur ce qu’en aurait pensé Beaumarchais. La SACD a beaucoup élargi son champ d’action depuis 1777 : théâtre, musique, danse, mise en scène, arts du cirque, arts de la Rue, humour, cinéma, télévision, animation, radio, création interactive.
-
La SACD a donc pris la décision d’ouvrir une concertation avec les auteurs, les ayants droit et les bibliothèques sur la question des lectures afin d’en préciser les règles et d’améliorer le système dans l’intérêt des auteurs et de leur public, notamment les plus jeunes.
Le souhait de SavoirsCom1 va peut être se réaliser, au moins pour les heures du conte (« Cet épisode montre que ces usages ne doivent plus seulement faire l’objet de tolérances pouvant à tout moment être remises en cause par les titulaires de droits. Les usages collectifs de la culture doivent au contraire être reconnus et garantis par la loi, dans un souci d’équilibre avec le respect du droit d’auteur. »)
La polémique n’aura donc pas été vaine et pourrait déboucher sur une avancée. Personnellement elle m’aura permis de réviser mes classique sur les aspects législatifs du prêt selon le support.
</maj>
<MAJ du 19 mars : une concertation, bonne ou mauvaise nouvelle?>
Tout le monde n’est pas rassuré par le démenti de la SACD, du fait qu’il est assorti de la promesse d’une concertation avec tous les acteurs concernés.
</maj>
<MAJ du 20 mars : SavoirsCom1 a réagi>
C’est sur un groupe Fb de défense du droit d’auteur, où je suis nouvellement inscrit, qu’on m’en a informé.
Heure du conte en bibliothèque : SavoirsCom1 appelle à la vigilance suite à la réponse de la SACD ! conclue ainsi :
SavoirsCom1 ne considère pas que le communiqué fait par la SACD apporte une réponse sur le fond aux questions posées ces derniers jours à propos des lectures publiques en bibliothèque. Nous resterons attentifs et mobilisés quant aux suites qui seront données, en appelant les bibliothécaires qui participeront à cette concertation à la vigilance.
C’est en effet cette seule condition qui décidera de l’issue : avancée ou recul.
</maj>
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