Suite à ma réflexion sur la sécurité informatique en entreprise, il est légitime de se demander : Et qu’en est-il dans les les bibliothèques ?
L’accès des usagers à Internet dans l’enceinte de l’établissement est devenu un marronnier de la littérature professionnelle, pour évaluer en quoi la dernière évolution en date du droit d’auteur peut être impactante. Et elles ont été nombreuses ces dernières années, de la DADVSI à LOPPSI en passant par Hadopi. Ce qu’il faut retenir tient en peu de mots :
Il peut être tentant pour les bibliothèques, archives et centres de documentation de mettre en place des mécanismes de contrôle qui leur permettront de limiter les risques de voir leur responsabilité engagée. Mais il faut bien avoir conscience que si ces dispositifs vont au-delà de ce que la loi exige, ils auront pour effet de restreindre volontairement l’exercice d’une liberté fondamentale des citoyens, constitutionnellement consacrée.
La mise au point de l’IABD passe en revue les textes pour délimiter avec précision le champ de ces obligations légales. Il ressort de l’analyse que si les bibliothèques, archives et centres de documentation sont bien obligés de conserver pendant un an les données de connexion (loi anti-terroriste de 2006), il n’est nullement exigé, ni de recueillir l’identité des personnes qui accèdent à Internet, ni de mettre en place des moyens de sécurisation des connexions tels que des systèmes de filtrage.
[…] bien souvent, il reste plus facile de se connecter à Internet depuis un Mac Do qu’à partir de la bibliothèque de son quartier.
En revanche, l’accès à Internet par le personnel sur son lieu de travail est très peu, voire pas abordé.
J’ai retrouvé par hasard un mémoire de l’Enssib, glané au temps où j’étais étudiant : SARAZIN Lucile. Internet en bibliothèque municipale : mise à disposition pour le public et utilisation par le personnel. 2000. 64p. Suite à une enquête auprès de 17 bibliothèques parisiennes, elle dresse un portrait de l’utilisation d’Internet en bibliothèque en l’an 2000. Premièrement, deux des 17 établissements n’offrent pas de connexion dédiée au personnel. Cela montre que l’on vient de loin.
- Le nombre de postes et l’accès à ceux-ci :
Parmi les quinze bibliothèques qui disposent d’une connexion pour le personnel, onze, c’est-à-dire plus des deux tiers, n’offrent à l’ensemble de l’équipe qu’un poste équipé d’Internet. Dans ce cas se pose le problème de l’accès à cet ordinateur. En effet, généralement, comme c’est le cas à Argenteuil, à Créteil ou à Nanterre, l’unique poste Internet est placé dans le bureau d’un membre de la direction. Par conséquent, l’utilisation de cet équipement n’est pas facilitée : le personnel hésite à déranger le conservateur ou désirerait plus de tranquillité. Même à Boulogne-Billancourt ou à Issy-les-Moulineaux, qui disposent respectivement de trois et douze postes (en comptant la salle de formation), la consultation se fait souvent dans les bureaux d’autres collègues d’où une utilisation assez restreinte.
- La formation
Les utilisations d’Internet varient énormément, au sein d’un même établissement, entre les personnes. En effet, les compétences dans ce domaine sont inégales. C’est souvent à titre personnel que l’un des membres de l’équipe s’est familiarisé avec le réseau ou avec l’informatique en général. Ces personnes intègrent ensuite plus facilement l’outil dans leur activité professionnelle.
[…] ces initiations sont proposées par un membre du personnel (emploi-jeune, bibliothécaire) qui connaît bien le réseau et initie ses collègues lors de séances de groupe ou individuelles.
- L’usage professionnel
Lucile Sarazin constate que l’Internet est souvent perçu comme un outil de communication ou de loisir et non comme un média professionnel (Aujourd’hui certaines applications de la toile, comme les réseaux sociaux soufrent du même problème de perception). De ce fait, les utilisations professionnelles sont assez pauvres. Seuls trois établissements sur les 17 ont une adresse mail et s’en servent. Les sites et catalogues des établissements (il y en avait déjà) sont boudés par leur propre personnel. Parmi les immenses ressources de la Toile, seul le catalogue de la BnF (BN Opale), les sites des fournisseurs et feu Biblio.fr sont utilisés régulièrement. Le côté documentaire du Web est embryonnaire : les recherches, ponctuelles, portent sur des thèmes en lien avec les animations et exposition montés par le service. En revanche, presque personne ne pense à utiliser Internet pour le renseignement au public.
Les bibliothèques municipales ont-elles été précurseurs avec Internet ou à la traine dès le début? C’est une question de verre à moitié vide ou à moitié plein. En 2000, l’Internet grand public a sept ans (1993) et l’Internet commercial seulement trois (1997). Le haut débit ne concerne que les universités et 3 millions de foyers français sont déjà connectés en bas débit.
Néanmoins, Internet a d’abord été universitaire, et j’ai pu l’expérimenter dès 1996, dans une salle informatique de la Fac. La BU, pas plus que les BM, n’avait d’accès à Internet à cette époque. A la décharge des BU, il faut reconnaître que les outils électroniques auxquels elles étaient abonnées sont restés longtemps sur CD ROM, par exemple le catalogue des périodiques Myriade (Catalogue collectif national des publications en série). Le changement est venu plus tard, quand Elsevier a passé unilatéralement ses revues sur Internet (ScienceDirect). Cela a conduit à la mise sur pied du consortium Couperin et est à l’origine du mouvement Open Archives. Mais c’est là une autre histoire… que je vous conterai peut être un jour… 😉
Cinq ans après, mon mémoire de maîtrise (2001) puis mon mémoire de fin d’étude (2002) avaient un lien avec Internet. Or je n’étais pas le seul à sentir l’importance future du réseau des réseaux, et on parlait déjà de la fracture numérique (expression forgée en… 2000!). Le mémoire de Lucile Sarazin traite de bibliothèques municipales parisiennes, qui finalement étaient à la pointe en 2000.
Je n’ai vu arriver Internet dans les bibliothèques municipales de ma commune et même du chef lieu de département (Vannes) et de région (Rennes) que beaucoup plus tard. Ce n’est pas un hasard si en Bretagne la lutte contre la fracture numérique est passée d’abord par le label Cybercommune (créé par la Région Bretagne dès 1998) et pas du tout par les bibliothèques municipales, précisément à cause de cette perception d’Internet “comme un outil de communication ou de loisir et non comme un média professionnel”, dont parle Lucile Sarazin.
Il me semble que cette perception a laissé des traces encore aujourd’hui chez une partie de la profession.