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Que fait un bibliothécaire quand il ne tient pas sa douchette? (1)

Ceci n’est pas le cousin des lapins crétins

Cette expression m’est restée suite à une réunion avec des élus à laquelle j’ai assisté. Il était question d’accueillir de nouveaux bénévoles, et la directrice de la bibliothèque faisait remarquer que n’importe qui ne fait pas forcément l’affaire. Par exemple, pour de simples tâches de rangement, il faut être capable d’appréhender le système de classement. Quelqu’un dans l’assistance a alors lancé « Enfin ce n’est quand même pas compliqué de tenir une douchette! »

Et oui, c’est à cela que se résume le travail du bibliothécaire pour le commun des mortels : les prêts et les retours. Samedi dernier encore un lecteur m’a dit en arrivant « c’est calme », avant d’ajouter avec empathie : « Ils  devraient aussi bien fermer, plutôt que de vous obliger à patienter ». Toujours ce syndrome de la douchette : on ne sert qu’à çà. Et pourtant au moment où cette personne me disait cela, j’étais en plein désherbage de BD, avec des livres plein la table. Mais elle n’a rien remarqué! De plus, même si c’est plus calme pendant les vacances d’été, la bibliothèque étant un équipement municipal, il est normal d’assurer la mission de service public (au contraire d’une bibliothèque associative qui n’a pas cette obligation), tout en faisant avancer, pendant les périodes de calme, nos travaux habituellement réalisés hors des horaires d’ouverture au public. Ou alors elle m’a pris pour un bénévole, ce qui, dans le cadre d’un équipement municipal, ne change rien.

En effet, pour que l’on puisse prêter des livres, il faut se les procurer (acquisitions), et avant cela choisir ce qu’on va proposer (politique d’acquisition, politique documentaire). Il faut aussi être en mesure de retrouver un ouvrage une fois classé dans les rayonnages (catalogage, indexation, cotation). Enfin, avant de le prêter, il faut le couvrir pour le protéger et lui adjoindre diverses étiquettes pour faciliter son rangement ultérieur (équipement). Toutes ces tâches, que l’on résume sous le terme « chaîne documentaire » ne se font pas par l’opération du saint-esprit : ce sont des vrais gens qui les effectuent et ils n’ont pas besoin de douchette dans ces moments là. Ces gens utilisent leur cerveau et s’efforcent d’être rigoureux, car chacune des étapes de la chaîne documentaire peut être source d’erreur. Or le but ultime de toutes ces étapes est bien de servir les usagers, en leur permettant de consulter ou d’emprunter une offre de qualité. Une mauvaise acquisition et c’est un livre qui ne sortira pas, donc un gaspillage d’argent public. Une erreur de catalogage ou de rangement et c’est un document introuvable dans les rayonnages (et on passe alors pour incompétent, et pourtant la douchette n’est pas à l’origine de l’erreur). L’ensemble de ces opérations seul suffit à expliquer que des bibliothécaires (les vrai gens évoqués plus haut, bénévoles ou salariés) travaillent à la bibliothèque à des moments où celle-ci est fermée au public.

Cependant la douchette que les lecteurs nous voient utiliser aux heures d’ouverture est également source d’erreurs : on se retrouve avec des livres que l’ordinateur dit prêté alors qu’ils ont été rendus (on les retrouve sagement rangés à la place qui est la leur), des CD sur la carte d’un abonné alors que c’est un autre qui l’a emprunté, des DVD qui reviennent et que l’informatique indique comme n’ayant pas été prêté. Le comble étant de réclamer par courrier une revue très en retard qu’un lecteur n’a pourtant jamais emprunté.

Ainsi, même la douchette nécessite d’être rigoureux! Et c’est grâce au travail précis des bibliothécaires que les erreurs sont statistiquement peu fréquentes… mais le risque zéro n’existe pas.

D’ailleurs, le phénomène n’est pas nouveau : voici un extrait de La Belle Hortense de Jacques Roubaud (Jacques ROUBAUD, La Belle Hortense, 1990. Chapitre 10 « La Bibliothèque ») :

« La première stratégie donc était la stratégie de l’erreur, dont une variante était l’envoi du bon ouvrage à un autre lecteur. On voyait ainsi dans l’allée centrale de la salle de lecture des chercheurs fébriles essayant d’échanger, en des échanges souvent triangulaires, un ouvrage sur la cuisine pygmée contre l’édition originale des Prolegomena rythmorum du père Risolnus. Mais il y avait un échelon supérieur dans la dissuasion : c’était l’emploi d’une arme particulièrement redoutable, la panoplie des réponses dilatoires que les magasins envoyaient au lecteur par l’intermédiaire de son propre bulletin de demande ; ces réponses pouvaient prolonger la lutte pendant plusieurs journées. […] Il n’y avait rien pour vous ; une demi-heure supplémenaire passait. Vous receviez alors votre bulletin de commande généralement chiffonné, portant l’indication « manque en place ». Le lendemain vous redemandiez l’ouvrage ; la réponse était cette fois : « cote à revoir ». Le troisième jour, c’était : « à la reliure » et enfin le quatrième, par un raffinement de cruauté dont on appréciera toute la saveur : « communiqué à vous-même le… » et suivait alors la date de votre première demande. […] Les bibliothécaires essayaient de vous consoler et vous lisiez dans leur regard apitoyé le jugement sans appel : le malheureux, elle a encore frappé ! « 

Au fait, avez-vous remarqué que j’ai parlé de livres, certes, mais aussi de CD, de DVD, de revues. J’aurais pu aussi évoquer les postes informatiques pour l’accès à Internet, etc. C’est pourquoi il y a une décennie, certaines bibliothèques ont décidé de prendre l’appellation de « médiathèque ». C’est le premier coin dans l’idée que bibliothèque = livres.

Douchette2
Les livres ont deux codes barre : un pour la caissière du magasin, l’autre pour la bibliothèque. Pour les lecteurs, ils n’y a rien de plus à retenir.

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