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Lire-écrire-publier

Sur le blog de la FINGInternetActu.net, Hubert Guillaud, qu’on ne peut pas taxer de technophobie, publiait en 2011 un article au titre choc : Dans la salle de classe du futur, les résultats ne progressent pas. En réalité l’article était très nuancé et montrait surtout que la technologie seule ne suffit pas et qu’il s’agissait de savoir quel usage en est fait :

Il est difficile de mesurer l’effet de la technologie, car les classes et les écoles sont toutes différentes et la technologie évolue très vite. “Les petites études produisent des résultats contradictoires : certaines montrent que les résultats en mathématiques progressent grâce à l’utilisation de logiciels dédiés, d’autres montrent que les scores ne s’améliorent pas.” Pour Katrina Stevens de LessonCast, “la question ne devrait pas être de savoir s’il y a des preuves concluantes que les logiciels d’enseignement sont efficaces, mais plutôt de savoir quels logiciels pédagogiques sont efficaces et dans quelles conditions.

En clair, évaluer les TICE comme un tout monolithique, ce serait comme évaluer les supports imprimés sans discriminer la qualité des manuels scolaires et la manière dont les enseignants s’en servent. En outre, les écoles américaines dont il est question investissaient dans des tableaux blancs interactifs (TBI) et des ordinateurs, mais diminuaient dans le même temps le nombre de professeurs.

Aucune école ne doit investir dans la technologie sans investir de manière substantielle dans la formation des enseignants. Or, la plupart du temps, l’introduction des technologies se fait sans formation, sans accompagnent des enseignants. Pire, bien souvent, les dépenses dans les technologies de l’éducation se font au détriment du nombre d’enseignants

Julien Gautier, prof de philosophie en Lycée, accuse Michel Serres d’imaginer que rôle de ces derniers peut être intégralement remplacé par l’extension de la mémoire que constitue le réseau des réseaux. C’est inexact. L’auteur de Petite Poucette et du Gauche boiteux parle bien d’externalisation de la mémoire, mais explique qu’elle s’est déjà produite avec l’invention de l’écriture, puis de l’imprimerie : la mémoire humaine était déjà dans les livres et plus uniquement dans les cerveaux individuels, ceci bien avant l’informatique. En outre, il distingue clairement mémoire et connaissance. Il explique simplement que le rôle des enseignants est amené à évoluer, pas qu’ils sont devenus inutiles.

le passage d’une pédagogie transmissive (le maitre enseigne, l’élève reçoit) à une pédagogie active (l’enseignant aide l’apprenant à construire savoir et savoir-faire) ;

De même que les manuels papiers, les TICE ne sont qu’un support, un outil, qui apporte une valeur ajoutée à un cours dont le but est que les élèves s’approprient des connaissances selon un canevas de base qui va les aider à faire un usage à bon escient de leur esprit critique et à s’orienter parmi les connaissances disponibles hors de l’école, que ce soit dans les livres de la bibliothèque (BM, CDI, BU…) et chez le libraire du coin, dans les médias (presse, radio, TV) ou sur la toile. Ainsi le rôle de l’enseignant reste essentiel :

Les bons enseignants peuvent faire un bon usage des ordinateurs, tandis qu’avec d’autres, les élèves pourraient se laisser distraire par la technologie.

Le 04 juin dernier se tenait la journée d’études intitulée « Livres enrichis : enjeux de création, de réception et de médiation », et organisée par le Cellam et l’université Rennes 2, en partenariat avec l’ADBS Bretagne, la Bibliothèque des Champs Libres et Livre et lecture en Bretagne. L’intervention qui m’a le plus plu est celle de Jean Michel Le Baut, professeur de français au lycée de l’Iroise à Brest, qui révolutionne son enseignement avec des livres qui sont enrichis… par ses élèves, en partant du constat suivant :

Comment enseigner à la génération de l’écran, de l’ordinateur et d’Internet cette littérature qui appartient au « monde d’avant », au monde du livre ? Et si les nouvelles technologies, plutôt qu’un obstacle, devenaient un précieux adjuvant, en misant sur la créativité et la sensibilité des élèves d’aujourd’hui ?

Il a observé que ces derniers passent leur temps à « lire-écrire-publier » sur la toile. Il a décidé de tirer parti de cette appétence en la transformant en compétences, avec des projets plus inventifs les uns que les autres, dont il nous a présenté un éventail.

  • i-voix est le blog de lecture, d’écriture et d’échange autour du programme de littérature en première, tenu par les élèves, depuis sept ans.

i-voix-net

Le projet i-voix (extraits) :

– par l’écriture, favoriser la lecture
– par la lecture et les échanges avec les autres, favoriser l’écriture
– par l’utilisation des nouvelles technologies, par l’instrumentalisation d’espaces bien investis par les adolescents (les blogs, les réseaux sociaux…), par la rencontre de textes et d’auteurs contemporains, réconcilier la culture du livre et la civilisation de l’écran

  • Gargantua magazine

Gargantua magazine est un magazine de presse parodique multimédia. L’idée est développer la compétence « lire-écrire-publier » par immersion, comme pour les langues.
n°1 http://fr.calameo.com/books/000114846163cfb903cf1
n°2 http://fr.calameo.com/books/0001148460b18d2874476

  • Le Jeu de l’amour et du hasard – Marivaux

La pièce de théâtre a été enrichie avec :
– des éléments libres de droit
– des ajouts de didascalies
– la mise en voix de certains passages

Une démarche similaire à été menée avec Balzac, Laclos, Musset, Rimbaud… dans le cadre du projet Voix d’Aujourd’hui.

  • Louise Labé (parce que Louise avait aussi un sens de l’humour bien aiguisé)

Idée de départ : un livre de Louise Labé a été retrouvé dans un grenier de Brest, imaginer son contenu. Chaque poème a été réécrit par les élèves, en respectant les règles de versification de l’original. Celui-ci est précède sa variante dans le produit fini, qui comprend également des notes ajoutées par les élèves.

  • Anywhere out of the world 2015

Atelier d’écriture à la façon de Baudelaire. Il s’agissait de choisir un lieu sur Google maps et d’écrire un poème dessus.

A la manière de Baudelaire dans son poème en prose « Anywhere out of the world« , mais avec les outils du 21ème siècle, les lycéens d’i-voix ont été invités à cartographier leur imaginaire : ils ont composé collectivement un « Anywhere out of the world 2015« .

  • Sur les traces de Petite poucette

Le célèbre essai de Michel Serres a été enrichi avec des productions en réalité augmentée (avec l’application Aurasma) :

Pour voir les auras (productions en réalité augmentée) créées dans le cadre du projet collaboratif, téléchargez l’application Aurasma et abonnez-vous à la chaîne REFER. Balayez la page couverture de l’essai Petite Poucette avec votre appareil mobile pour repérer la table des matières indiquant l’emplacement des auras.

Ci-dessous la vidéo de ce projet pédagogique reliant différentes classes du Canada, de Belgique et de France (dont celle du lycée de l’Iroise de Jean Michel Le Baut) au REFER (Rendez-vous des écoles francophones en réseau)

D’autres exemples encore :

Jean-Michel Le Baut est une exception mais pas un cas isolé. Lors de son intervention il a également présenté Les amis de Papier (Les éditions du net), réalisé par les élèves du Vic-Bilh à Lembeye dans les Pyrénées-Atlantiques.

Roman épistolaire imaginaire entre un poilu et sa marraine de guerre, enrichi de portraits, de peintures, de photos d’objets de l’époque et de sons (bruitages, chant choral…). Cela représente un an de travail et a mobilisé non seulement le professeur de français, mais aussi celui d’histoire et le prof documentaliste.
– « Les Amis de papier » – Le Café pédagogique, 19 janvier 2015
– Le Blog (making-of)
– Version imprimée
– Version numérique (iTunes)

Toutes ces expériences témoignent de la nécessité de rénover l’enseignement du français pour rendre la littérature vivante auprès des adolescents d’aujourd’hui. Pour Jean Michel Le Baut, il s’agit de sortir de la culture de la glose, du commentaire. Il utilise la transformation numérique pour faire vivre la littérature de l’intérieur à ses élèves. Selon lui les élèves peuvent redécouvrir l’expérience de la littérature grâce à Internet, car :

Enseigner, ce n’est pas donner à manger, c’est donner faim.

Quand un sénateur préconise de supprimer tout type d’écran à l’école, jusqu’à proposer l’utilisation de brouilleurs, je m’interroge sur les raison d’une vision aussi anxiogène du numérique. Or je ne trouve pas ses arguments convaincants : source de distraction, abandon de la notion d’effort pour acquérir du savoir et surtout, contradiction suprême, le numérique serait à la fois responsable d’un manque d’esprit critique et de critiques sur les exposés des profs… et évidemment, l’absence de progrès dans les écoles déjà connectées qui est à l’origine de ce billet. Heureusement, son souhait ne concerne que l’école primaire, ce qui veut dire qu’il reconnait encore un certain intérêt au numérique pour les élèves du secondaire. Déjà Socrate, en son temps, avait émis l’idée que le développement de l’écrit risquait de porter atteinte aux acquis de la culture, parce que les hommes « cesseraient d’exercer leur mémoire ».

Mais les freins sont encore nombreux au sein même de l’Education Nationale, où les enseignants promoteurs éclairés de l’usage du numérique sont une minorité. Leurs discussions me rappellent celles des bibliothécaires il y a quelques années : Comment convaincre les collègues, les freins des tutelles et des directions, la revendication de laisser s’exprimer les initiatives et la créativité du personnel, le déficit de formation ; « mon institution n’a même pas un site internet ». Et à contrario, les invocations venues d’en haut : Yakafokon développe le numérique. Et puis quoi? On achète des tablettes aux élèves et le reste se fera par l’opération du Saint Esprit?

Si personne à l’école ne montre aux enfants, comme le fait Jean Michel Le Baut avec brio, qu’il existe d’autres façons de « Lire-écrire-publier » que les live-tweets sur les Anges de la téléréalité, qui le fera? Les parents? Non, internet n’est pas le paradis et nécessite bien une éducation à son usage, et c’est précisément si l’école ne s’en mêle pas qu’on pourrait voir se développer une « masse abêtie par la drogue numérique« . Quand on aura dépassé « l’anti-numérisme » primaire, on pourra peut-être s’intéresser à la formation des enseignants?

Aller plus loin :

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Lisez aussi :

Et les élèves de M. Le Baut font les deux!

<MAJ du 31 août : le gai savoir>

Pour la rentrée, Libération a rencontré des enseignants qui se démènent et innovent dans leur façon de concevoir leurs cours.

</maj>

<MAJ du 06 septembre 2015 : Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique>

Un passionnant livre des sociologues Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller bat en brèche la fausse opposition entre méthode syllabique et méthodes globales, propose un passionnant récit de cette autre guerre scolaire, et présente les résultats effectifs d’une enquête visant comprendre et réduire les inégalités sociales face à l’apprentissage de la lecture.

L’autre guerre scolaire : enquête sur les pratiques d’apprentissage de la lecture – France Culture, La suite dans les idées par Sylvain Bourmeau – 05.09.2015 (30 minutes)

</maj>

3 commentaires sur “Lire-écrire-publier”

  1. Retour de ping : Alain Gerbault | Pearltrees

  2. Retour de ping : Savoir lire, écrire, dessiner et coder - InfoDocBib.net

  3. Retour de ping : Questions sur le créationnisme - InfoDocBib.net

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