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La liberté d’expression à travers le monde

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Dès 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui reconnaissait la liberté d’expression en fixait également les limites :

Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

La loi sur la liberté de la presse (1881), régulièrement modifiée (diffamation, injures, discriminations, racisme), a ainsi été complétée par la loi Gayssot (1990 – incitation à la haine et le révisionnisme) et la loi Cazeneuve (13 novembre 2014 sur le terrorisme). De même que la liberté d’expression est balisée en France, chaque pays a une définition propre de cette notion et surtout de ses restrictions, définition issue de leur culture et de leur histoire législative.

La diversité des réactions à la parution du numéro 1178 de Charlie Hebdo est un bon révélateur de la diversité des législations sur la liberté de la presse à travers le monde.

Les Unes du journal sont à l’image des pages intérieures, musclées et provocantes, comme le montre un florilège de 20 minutes. La couverture du n°1178 ne fait pas exception, qui suscite la polémique plus encore que le reste du journal. Elle représente un homme, larme à l’œil, avec un turban et portant le célèbre écriteau “Je suis Charlie”, avec en légende : “Tout est pardonné”. Toute représentation du prophète Mahomet constitue un blasphème pour les musulmans, d’où un grand nombre de réactions négatives du Maroc à l’Indonésie. Pourtant, cette interdiction ne remonte qu’au XVIIIe siècle et nullement à l’époque du prophèteL’islam perd parfois de vue sa propre histoire.

CharlieUne
Charlie Hebdo n°1178. Le numéro d’après, le numéro des survivants.
« Nombre de musulmans sont convaincus, avec la meilleure foi du monde, que [la représentation du prophète] est interdite. Le surgissement du wahhabisme, à la fin du XVIIIe siècle, a contribué à effacer les différentes appréciations qui existaient entre les écoles juridiques du sunnisme. Il a fini par imposer l’idée qu’il n’y avait qu’un seul sunnisme, ce qui est faux » nous indique l’Obs

Pour autant, c’est pour cette unique raison que de nombreux pays ont décidé de censurer soit la couverture, soit l’ensemble du journal, sur papier et/ou en ligne.

Au Sénégal, les versions papier de Charlie Hebdo et Libération sont frappées d’interdiction de diffusion, à cause de leur Une. La Tunisie, le Maroc et l’Algérie n’ont pas autorisé la diffusion du journal satirique sur leur sol non plus. La Turquie va plus loin en décidant le blocage de tous les sites internet qui reprennent la Une de « Charlie Hebdo ». Pour rappel, le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, était présent à la « marche républicaine » de dimanche. Paradoxalement, c’est le seul pays musulman où un journal, Cumhuriyet, publie l’essentiel du contenu du n°1178 dans un encart de quatre pages.

Le quotidien d’opposition turc Cumhuriyet est le seul journal d’un pays musulman à avoir osé publier cette caricature dans son édition du jour, accompagnée d’un encart en turc de quatre pages reprenant l’essentiel du numéro de l’hebdomadaire français paru mercredi.

Mais ne croyons pas que la situation soit uniforme dans les pays non musulmans. Ainsi, la diffusion du journal papier pose également problème dans des pays comme l’Australie et le Royaume-uni :

  • Au Royaume-Uni, seuls les quotidiens The Guardian et The Independent ont publié dès mardi en pages intérieures la Une du journal satirique mais discrètement, en bas de page et en format réduit.
    […] des grandes chaînes de distribution de la presse qui elles ont décidé de ne pas mettre en kiosque Charlie Hebdo.
  • En Australie, où on a aussi défilé pour rendre hommage aux victimes des attentats, la publication de l’hebdomadaire pourrait tomber sous le coup d’une loi anti-discrimination : l’article 18c du Racial Discrimination Act stipule en effet qu’il est illégal d’offenser, d’insulter ou d’humilier un groupe de personnes en s’attaquant à leur couleur de peau ou leur appartenance ethnique. Les caricatures de Charlie Hebdo pourraient être interprétées de cette manière

Côté numérique, le Mahomet de «Charlie» n’est pas toujours bienvenu sur les sites d’info étrangers, comme le montrent l’article de Libération, basé sur le resencement réalisé par Buzzfeed :

Si «la plupart» des sites partagent sans filtre la publication, d’autres font preuve d’une certaine frilosité plutôt raillée sur les réseaux sociaux
[…]
Les journaux britanniques, notamment, évitent de reproduire la couverture du nouveau numéro de l’hebdo satirique.

Le Wall Street JournalEl PaisDer Spiegel, et le Washington Post ont repris l’image telle quelle, dès la page d’accueil de leur site. En revanche :

  • Le Guardian publie un message d’avertissement en gras en guise d’ouverture de l’article correspondant.
  • La BBC, Le Telegraph, Al-Jezira, Irish Times et Reuters préfèrent décrire le dessin au lieu de le montrer
  • En outre depuis le début, divers médias anglo-saxons floutent certaines photographies, en particulier celles comportant la couverture du journal.

  • Et que dire de Sky News qui coupe Caroline Fourest au milieu d’une phrase parce ce qu’elle allait montrer la couv de Charlie?


Sky News interrompt l’interview de Caroline… par LeHuffPost

Notons au passage que la caricature, la parodie et le pastiche sont des exceptions françaises au droit d’auteur qui rendent possible le travail des auteurs de Charlie Hebdo, exceptions dont les modalités varient elles aussi dans le monde. De fait ce journal est une sorte d’OVNI hors de l’hexagone, au point que de nombreuses rédactions tentent d’expliquer sa nature à leurs lecteurs… avec plus ou moins de bonheur comme le remarque Courrier International.

La différence de réception de la couverture du Charlie Hebdo est largement tributaire de la façon dont les religions sont considérées dans chaque pays. Reporters Sans Frontières publie une carte de la répression au nom des religions :

Carte de la répression au nom des religions, RSF

Cependant la liberté d’information en général varie selon un grand nombre d’autres paramètres :

Les pays qui se prévalent de l’État de droit ne donnent pas l’exemple, loin de là. La liberté de l’information cède trop souvent devant une conception trop large et une utilisation abusive de la sécurité nationale, marquant un recul inquiétant des pratiques démocratiques. Le journalisme d’investigation en pâtit parfois gravement

Cela donne un classement qu’on n’attend pas forcément, que traduit une autre carte de RSF :

La France est au 39e rang, derrière des pays comme le Salvador, le Ghana ou la Namibie. Quand aux USA, ils sont 46e, juste devant Haïti!

Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire.

Si Voltaire n’a jamais écrit ni prononcé cette phrase, inventée par une de ses biographes, il a en revanche écrit ceci :

Soutenons la liberté de la presse, c’est la base de toutes les autres libertés, c’est par là qu’on s’éclaire mutuellement. Chaque citoyen peut parler par écrit à la nation, et chaque lecteur examine à loisir, et sans passion, ce que ce compatriote lui dit par la voie de la presse

Dictionnaire de la pensée de Voltaire par lui-même

Si la liberté de la presse est ouvertement bafouée dans les pays autoritaires, on voit que son interprétation varie partout, y compris dans les démocraties les plus libérales. Néanmoins, ces dernières restent globalement les bonnes élève des droits humains, dont la liberté de la presse n’est qu’un aspect. C’est en tout cas ce que disent des ONG telles que Amnesty International ou Human Rights WatchQuoique.

<MAJ du 19 janvier 2015 : #jesuisRaif >

Plus de 13.000 morts et 1,5 million de déplacés depuis 2009

Tandis que la neige et la grève des routiers ont pris le dessus sur l’éphémère « union nationale » a peine une semaine après le 11 janvier, tandis que les massacres de Boko Haram ont à peine été évoqués dans les JT, pas un mot sur non plus sur Raif Badawi, blogueur saoudien condamné à 10 ans de prison, 225 000 euros d’amende et à 1000 coups de fouet pour avoir lancé un blog, Liberal Saudi Network, qui paraît bien modéré à un français, mais qui a fortement déplu aux autorités saoudiennes qui l’accusent d’insultes à l’islam, d’apostasie et de désobéissance au père. La peine a été décomposée en séries de 50 coups par semaine. La première série a été infligée le vendredi 9 janvier. Or la veille, L’Arabie saoudite avait condamné l’attaque contre Charlie Hebdo, à Paris, en la qualifiant d’acte « lâche », nous explique Amnesty international, cependant que Courrier international précise :

Le surlendemain, Nizar Al-Madani, ministre d’Etat aux affaires étrangères (numéro deux de la diplomatie saoudienne), était à Paris pour prendre part à la « marche républicaine » contre le terrorisme islamiste et pour la liberté d’expression !

Et que fait la patrie des droits de l’homme, que fait le nouveau symbole de la liberté d’expression, conspué par une bonne partie du monde musulman à cause de la Une de l’un de ses journaux? Le minimum syndical. Il faut dire que l’Arabie Saoudite représente 40% des ventes d’armes de la France, il ne faudrait pas se fâcher avec un bon client.

1000 coups de fouet pour s’être exprimé.

[Edit du 28 janvier : C’est par sa femme qu’on a des nouvelles de Raif]

Raif Badawi, le blogueur condamné. Sa femme raconte son calvaire – Paris Match, 26 janvier 2015

Combien d’autres Raif dans les géôles à travers le monde n’ont aucun proche audible en Occident pour prendre leur défense?

[Fin edit]

</maj>

<MAJ du 27 janvier 2015 : Le pétrole c’est le pouvoir >

La mort du discret défenseur de la condition féminine en Arabie Saoudite est l’occasion d’en savoir plus sur l’histoire du pays de Raif. Quand un chef d’état français va en Chine, il ne faut surtout pas parler du Tibet. Quand il va en Arabie, les droits de l’homme et ceux des femmes sont tabous. Elle est belle la République, qui va guerroyer au Mali, en Centrafrique et en Afghanistan, mais qui fait des ronds de jambes face au financeur de tous les rigoristes du monde.

</maj>

<MAJ du 16 mars 2015 : un débat vieux comme le monde>

La censure et son pendant, la liberté d’expression, ne datent pas du dépôt légal instauré par François Ier en France. D’autres civilisations se sont posé la question du positionnement du curseur longtemps avant la patrie de Voltaire.

</maj>

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