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Internet, le danger

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JT 1995 : Internet=Danger
Les choses ont elles tellement évolué depuis 1995?

Le baromètre de confiance des Français dans les médias 2013 de TNS-Sofres vient d’être publié. Cet exercice, le 26e du genre, mesure l’intérêt pour la TV, la radio, la presse et Internet auprès d’un échantillon national de 1000 personnes représentatif de l’ensemble de la population âgée de 18 ans et plus, interrogées en face-à-face à leur domicile. 70% des sondés suivent l’actualité avec intérêt, et privilégient pour cela, dans l’ordre :

  1. La télévision (69%)
  2. La radio (33%)
  3. Internet (27%)
  4. La presse quotidienne (24%)

Paradoxe, la crédibilité qu’ils accordent à ces quatre médias suit un autre ordre, immuable depuis 2005 (année où Internet a été pris en compte) :

  1. Radio (54%)
  2. Presse (49%)
  3. Télévision (48%)
  4. Internet (35%)

Cependant, la télévision est passée de la première place en 1987 à la deuxième en 1990 puis à la troisième en 2004. Quand à Internet, sa crédibilité ressentie est en progression constante. La toile est surtout utilisée pour “comprendre un sujet de fond” ou “avoir des explications détaillées sur un événement”. En effet on trouve de tout sur Internet, du blog de la midinette au carnets de recherche du chercheur. Toutes les institutions de recherche ainsi que divers organismes (démographie, sondages, collectivités, ministères…) sont présents en ligne et offrent des informations, études, chiffres, chacun dans leur domaines. Que ce soit en sciences exactes ou en sciences humaines, les réservoirs OAI (archives ouvertes) donnent accès à de nombreux articles. Ainsi, que ce soit en Open Data ou en données non récupérables, ce n’est pas un hasard si Internet est devenu la première source pour le fact-checking. Les blogs de particuliers offrent parfois également des points de vue et analyses originaux ou humoristiques, dans tous les domaines.

Je ne suis néanmoins pas surpris du faible score de sa crédibilité perçue. La jeunesse relative de ce média n’explique pas tout. Car si on peut y trouver les informations les plus sérieuses, on y trouve aussi les plus farfelues (théories pseudo scientifiques fumeuses, théories du complot, fanatiques religieux ou politiques, illuminés de toutes sortes et autres joyeusetés…). Cela nécessite donc de faire preuve d’esprit critique (évaluation de la fiabilité d’une source, date d’un article, recoupement d’info, etc) pour séparer le bon grain de l’ivraie, ce que tout les internautes ne savent pas (ne prennent pas le temps de?) faire. Néanmoins, avec de la pratique, on y parvient facilement et c’est ainsi un merveilleux outil de veille non seulement pour l’actualité en général (d’autant qu’en plus des pure players, les médias traditionnels offrent aussi une partie de leurs contenus en ligne), mais aussi sur des domaines d’intérêts particuliers qu’on ne voit jamais dans les JT.

Confiance accordée par les sondés dans les quatre médias qu’ils utilisent pour connaître l’actualité, évolution de 1987 à 2013. Sondage TNS-La Croix, p12. (cliquez pour ouvrir le pdf)

Or ce n’est pas du tout l’image que renvoient ces derniers quand ils abordent Internet. A les en croire, c’est le repère des terroristes, des nazis, des pédophiles, des trafiquants en tout genres et uniquement cela. Pas un mot sur les bon côtés. Internet, c’est le danger. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point le JT est partial, jusqu’à ce que je tombe sur ceci : Un blogueur a réalisé une compilation de reportages issus des journaux télévisés, ayant trait à la toile, à partir des archives de l’INA. Pas un n’est positif :

Grâce aux archives de l’INA, j’ai pu constituer un petit best-of des reportages des JT de France Télévisions qui, depuis maintenant une quinzaine d’années, aident la ménagère de plus de 50 ans à avoir confiance dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication telles que le « internet », ce réseau international qui se joue des États et sur lequel on trouve des néonazis, des trucs et astuces pour terroristes, de la drogue, des pédophiles, des révisionnistes, des satanistes, le Ku Klux Klan, des terroristes, des pédophiles, des néonazis, des sites pornographiques, des trafiquants d’enfants, des néonazis, des pédophiles, des groupes terroristes, des médicaments en vente libre, des tueurs en série, des néonazis, des antisémites, des pédophiles, et bien entendu quelques terroristes (sans oublier les pédophiles et les néonazis).

Je ne reprends que deux exemples ici, mais allez sur le billet originel pour voir les autres, c’est édifiant.

1995 : on a découvert que sur le fameux de réseau de communication international « internet », n’importe qui peut trouver la recette destinée à confectionner des bombes et à se livrer à des actes de terrorisme. Heureusement, les journaux télévisés veillent et nous alertent sur ce véritable scandale. Un habile logo « internet – le danger » résume ce qu’il faut retenir de cette histoire.

2000 : bien que le problème ait été réglé en 1997 par la gendarmerie de Reims, une start-up française vient d’inventer un filtre anti-images pornographiques pour internet. Un logiciel qui pourrait même débusquer tous les sites illégaux. Enfin la fin d’un véritable scandale.

La compil de Stéfan s’arrête en 2004, mais nul besoin d’avoir une mémoire d’éléphant pour se souvenir des deux derniers “scandales” évoqués dans les JT :

Les réseaux sociaux sont devenus la nouvelle plaie d’Internet, selon les rédactions télé (maintenant que les JT sont en ligne à leur tour via la TV de rattrapage, ils ne peuvent plus dire que le web ne sert qu’aux pédo-nazis).

<maj du 05 02 2013>

Ne croyez pas que les JT soient les seuls à attiser la peur d’Internet à la télévision. Les reportages des émissions d’information en soirée sont sur le même ton. Je ne prendrai que deux exemples récents :

</maj>

Comment ne pas haïr le réseau des réseaux avec un tel bourrage de crâne, que je constate jusque dans mon entourage? Un autre blogueur a réuni un florilège des déclarations de personnalités influencées par la rumeur des dîners en ville, et dont on se demande si elles savent bien de quoi elles parlent. les a classées par métier : Les politiques, Les gens de la télévision, Les journalistes des médias dits traditionnels, Les intellectuels/écrivains, Les acteurs.

Là encore, je n’ai sélectionné que quelques exemples. N’hésitez pas à lire le billet d’origine en entier :

Jacques Myard, à l’Assemblée nationale en décembre 2009

«J’espère que l’on va prendre conscience de la nécessité de nationaliser ce réseau.»

Nationaliser pas rationaliser, il n’y a pas de coquille. Il faut donc isoler les serveurs français du reste de la toile et retourner, au mieux au Minitel, au pire à l’Internet à la chinoise? Jacques Myard pense sans rire à cette deuxième solution puisqu’il ajoute : les chinois l’ont fait.

Aurélie Filipetti, dans Polka magazine, juillet/août 2012

«Si la presse abandonne la qualité, il n’y aura plus de différence entre les journaux, les magazines payants et la presse gratuite, notamment sur le Net où rien n’est éditorialisé.»

On s’est déjà gaussé des propos de la Ministre de la Culture, ministre de tutelle des bibliothèques municipale et départementales. Inutile d’en rajouter.

Patrick Ollier, à Public Sénat le 23 février 2011

«Les .fr vont chercher des infos dans le caniveau.»

Non seulement rien n’est éditorialisé, mais en plus ça ne vole pas plus haut que la presse à scandale (gutter press en anglais). En particulier sur les sites info des grands médias traditionnels (TV, radio, journaux)?

Philippe Val, éditorial paru dans Charlie Hebdo le 10 janvier 2001:

«A part ceux qui ne l’utilisent (Internet) que pour bander, gagner en bourse et échanger du courrier électronique, qui est prêt à dépenser de l’argent à fonds perdus pour avoir son petit site personnel? Des tarés, des maniaques, des fanatiques, des mégalomanes, des paranoïaques, des nazis, des délateurs, qui trouvent là un moyen de diffuser mondialement leurs délires, leurs haines, ou leurs obsessions. […]

D’accord le nom de domaine et l’hébergement de ce blog ne représentent pas une somme énorme, mais c’est tout de même un coût. Selon M. Val, je serais donc un taré maniaque et délateur, bourré de haines et d’obsessions. En un mot, un pédo-nazi? Quand un internaute utilise ce genre de termes dans des commentaires ou des forums, on appelle cela un troll. Les physiciens du CERN qui ont créé le web et les premiers sites étaient donc aussi des pédo-nazis. Tim Berners-Lee sera content de l’apprendre.

Raphaël Enthoven, dans L’Express, le 21 avril 2011:

«Sans loi, Internet n’est qu’un revolver entre les mains de milliards d’enfants.»

Les internautes sont des enfants. Il faut donc encadrer Internet pour leur bien.

Mathilde Seigner, sur Europe 1, le 1er avril 2012:

«Malheureusement, il y a cette machine qui s’appelle Internet qui est dramatique, qui est un drame de l’humanité. Je le pense.»

Voila pourquoi il faudrait mettre de l’ordre dans tout cela. Internet, c’est le mal, c’est dangereux, c’est immoral, c’est l’anarchie, la jungle, le repère des pirates, la source de tous les maux (Virgin), un drame de l’humanité. Quel dommage qu’ACTA ait été abandonné l’an dernier.

Heu, c’est un poisson d’avril? Tiens d’ailleurs, ACTA, quel JT en a parlé? Pas un! Et quel JT parle des atteintes à la neutralité d’Internet, de son filtrage, des traités CETA et TPP, de new SOPA, de la censure numérique en Syrie comme en Chine?

PAS UN!

Des médias d’information, on attend indépendance et objectivité. Pas étonnant que la crédibilité de la télévision dégringole depuis le premier baromètre de confiance des Français dans les médias. Pourtant ce même baromètre indique que 69% des français l’utilisent encore comme première source d’information.

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